Chorégraphie de lumières aquatiques

Spectacle de jets d’eau à Yomiuri Land Tokyo

Toutes les photos sont de © I.C.O.N.

Quand un parc d’attractions subit une baisse critique de son nombre de visiteurs, notamment en hiver le soir, que faire ? Voici l’histoire d’un visionnaire qui a inversé la situation pour sauver de la crise l’établissement fondé par son grand-père, grâce à la participation de créatrices lumière. Depuis le début de l’événement d’illumination saisonnière Jewellumination à l’hiver 2010-2011, les entrées ont littéralement doublé. En 2021, le pouvoir magique de la lumière l’a finalement fait devenir le parc le plus visité de la région de la mégalopole de Tokyo pendant les vacances du nouvel an.

Yomiuri Land, 2021

Yomiuri Land, 2021


Une première rencontre timide

Début 2010, Tatsuo Sekine, directeur général de Yomiuri Land, a trouvé une lueur d’espoir en sortant du bureau de Motoko Ishii, pionnière de la conception lumière au Japon. Lors de sa création, son parc situé en banlieue était un des premiers à proposer des attractions modernes aux habitants du Tokyo dévasté par la guerre. Or, comme tous ses confrères, il souffrait depuis quelques années d’une baisse du nombre de visiteurs suite à la diversification des options de loisirs et à l’installation de géants mondiaux comme Disney et Universal Studio au Japon. Avec conviction, mais dans le doute du rejet de son idée, tout seul pour ne pas perdre la face auprès de son personnel, Sekine a frappé à la porte de la conceptrice lumière la plus réputée du pays. Il est venu pour confier à Motoko Ishii la réalisation d’une grande illumination hivernale du parc entier. La sincérité de sa demande a stimulé la créativité de la designer, créant ainsi le début d’une longue relation de confiance.

Un bijou d’illumination

L’agence Motoko Ishii Lighting Design a imaginé une mise en lumière sur les 37 ha, en y appliquant un million de guirlandes lumineuses, spécialement conçues pour l’occasion, qu’elle a nommé “Jewellumination”, s’inspirant des pierres précieuses : diamant, rubis, topaze, émeraude, saphir, … Elles sont posées sur les structures des attractions (montagnes russes, manèges), les bâtiments de l’accueil, les restaurants, les arbres et les bosquets. Le résultat est spectaculaire. Sa première vision depuis le téléphérique (l’accès principal) a littéralement coupé le souffle du premier million de visiteurs. Aucun d’entre eux n’a pu résister à prendre des photos et à les diffuser sur les réseaux sociaux. Ainsi démarra le premier pas de leur grand succès.

Yomiuri Land, 2021

Yomiuri Land, 2021

Que les visiteurs soient !

Le nombre de visiteurs annuel qui était en dessous de 650 000 avant Jewellumination grimpa à plus d’un million après la première édition (l’événement durait à l’époque trois mois). Il augmenta sans cesse progressivement chaque année jusqu’à atteindre près de deux millions avant la crise de la Covid. Le nombre d’illuminations installées progressait parallèlement jusqu’à atteindre 6,5 millions de points de feu pour l’édition 2021-2022.

Un tarif spécial pour la visite nocturne (uniquement pendant l’événement) a attiré de nombreux jeunes couples, familles, groupes d’amis de tous âges. Le lieu propose non seulement des attractions mais aussi des menus de collations et de boissons adaptés à la saison et aux clients tels que des barbes à papa lumineuses !

En bref, le nombre de visiteurs de soirée en hiver a véritablement sauvé un parc d’attractions dont le futur n’était pas brillant. Mais, il restait encore une problématique à régler…

Une problématique après l’autre

Les parcs d’attractions japonais sont réputés pour leurs piscines de divertissement, de style aqua parc. Yomiuri Land en possède quatre grandes qui occupent près de 30 % de leur terrain et attirent de nombreux visiteurs en été. Le problème est qu’elles ne fonctionnent que deux ou trois mois dans l’année. Tout naturellement, la question s’est posée : comment faire pour les rendre plus rentables hors été ?

Le PDG Sekine a tenté une idée ambitieuse pour y répondre, suite au succès de Jewellumination. La création d’un spectacle son et lumière sur des jets d’eau a été ajoutée dans le contrat de Motoko Ishii deux ans après. Son agence n’a pas hésité à confier cette mission complémentaire à I.C.O.N., la société de conception lumière dirigée par moi-même, sa fille Akari-Lisa Ishii, qui suis un peu plus expérimentée dans le domaine du spectacle dynamique et de la création sonore. Ainsi, nous avons introduit soixante-huit appareils pour produire des jets de différentes formes (verticaux, arches et champignons) accompagnés par 152 projecteurs étanches LEDs en RGB pour les éclairer temporairement. Ils ont été installés dans leur plus grande piscine pour les premiers essais en 2013. Tout est piloté en DMX. La piscine est ornée par des guirlandes d’illumination sur la plage et sur les murets de fond de bassin afin de créer un tableau de décors.

Yomiuri Land, 2019

Yomiuri Land, 2019

Voyage vers Paris

À vrai dire, c’était la première fois que je concevais un spectacle dynamique avec de l’eau. Étalé sur un bassin de plus de 2 000 m2, sur près de 8 minutes, l’espace-temps était important à remplir sans aucun chanteur, ni danseur, ni narrateur… Le voyage de création fut tumultueux, d’autant que le thème a été imposé par la maîtrise d’ouvrage. Le PDG souhaitait que nous réalisions un spectacle son et lumière sur la thématique de Paris. Cliché ? Peu importe ! C’était l’occasion de montrer les savoir-faire de notre agence parisienne. Nous avons imaginé le synopsis pendant l’été : un voyage dans le temps et dans les styles musicaux lié à l’image de la capitale française. Il commence par une mélodie mélancolique à l’accordéon, suivie par de la french pop enjouée. Le deuxième moment invite les spectateurs dans les cafés ambiance bonne franquette avant d’assister au défilé militaire du 14 juillet. La dernière partie fait un saut dans la nuit contemporaine, sonorisée par de la techno, pour casser le stéréotype de la France chez les Nippons. Le compositeur de notre équipe a lancé la création tout de suite et la musique a été présentée mi-septembre aux membres du conseil d’administration du parc qui l’ont validée à l’unanimité ; un signe de beau temps pour la suite du voyage, pour voguer sur les horizons créatifs, même si un gros grain nous poussait, l’agenda étant très serré.

Naviguer dans le temps

L’installation des jets d’eau a démarré immédiatement après la fermeture de la saison de la piscine fin septembre. Le chantier dura deux semaines. Les précisions techniques sur les appareils de jets d’eau et d’éclairage finales ne me furent envoyées que le 1er octobre. Il ne me restait que dix jours pour écrire le programme complet avant de le donner aux pupitreurs des fontaines, des éclairages et des guirlandes, chaque élément ayant une personne dédiée. Il était impératif que le bateau arrive à destination dans les temps ! L’ouverture de Jewellumination était prévue pour le 1er novembre et la campagne de publicité commençait déjà : spots télé, affiches partout dans les grandes gares de Tokyo avec la simulation du nouveau “fountain show” au milieu ! J’ai vécu de houleuses dernières nuits de réglages avant de m’ancrer dans un havre de paix.

Yomiuri Land, 2017

Yomiuri Land, 2017

Pression pour un succès progressif

Depuis cette inoubliable tempête de 2013, qui a heureusement bien convaincu le client et le public, I.C.O.N. renouvelle son contrat chaque année. Le grand défi continue sous une pression constante, non seulement pour assurer la continuité du succès mais aussi évoluer vers un meilleur résultat, quantitativement et qualitativement à chaque édition. Entre autres, le thème se diversifie. Il est resté pendant cinq ans sur la France (à la demande du client qui l’adore !). Puis, le navire est passé par les pays nordiques, la Grèce et même les îles tropicales pour la saison 2021-2022. Entre temps, le parc a progressivement amélioré la technique avec une configuration incomparablement élaborée par rapport à il y a dix ans. Aujourd’hui, le spectacle dispose d’un anneau géant vertical produisant un rideau d’eau sur lequel une vidéo peut être projetée. Il s’agrémente de flammes, de bulles, de faisceaux laser et de projecteurs lumière automatiques équipés de plusieurs gobos. Le nombre de jets d’eau a été porté à 176 et les appareils d’éclairage (hors guirlandes) à 263, à peu près deux fois plus qu’au début, avec une diversité de formes et de mouvements possibles beaucoup plus sophistiqués. Le vocabulaire de création en a été enrichi et nous avons appris à remplir l’espace-temps de mieux en mieux. Mais cela reste un challenge chaque année.

Chorégraphie d’eau et de lumière

La spécificité de notre spectacle, appréciée par le public du parc, avec parmi eux des fidèles qui connaissent toutes les versions précédentes, est peut-être que nous prenons les jets comme personnages dans le spectacle mais pas seulement. Ils dansent, chantent, se déplacent comme les troupes de la grande armée, les danseurs de French cancan, les amants du bord de Seine, … Mais en plus, ils sont à la fois narratifs, figuratifs, symboliques ; ils forment des rondes de bal, aussi bien que des paysages naturels et bâtis, des vagues, des énormes étoiles ou un oiseau qui vole… Bref, dans nos spectacles, l’eau se transforme en tout grâce à la lumière.

Yomiuri Land, 2021

Yomiuri Land, 2021

Je termine ce journal de bord avec quelques précisions, en prenant la version de cette année comme exemple concret. Pour ce voyage, nous naviguons entre les différentes régions des îles tropicales, de la Polynésie aux Antilles. Les jets d’eau métamorphosent des palmiers en vagues, costumes de hula-danseurs, flammes de cracheurs de feu, rayons de soleil, coraux, plantes tropicales, danseurs de salsa, jusqu’aux feux d’artifice grâce à des mouvements statiques pour dessiner des formes particulières ou dynamiques telles que swing, pirouette, saut, glissade, dont le vocabulaire est quasi identique à la chorégraphie de danse. Il ne faut pas oublier le bruit d’eau, indéniablement important, qui ajoute une vitalité, presque comme un être vivant. En programmant la hauteur, la direction, la vitesse des jets, nous pouvons créer l’illusion sonore d’un défilé qui avance, par exemple.

Depuis l’intégration de la vidéoprojection en 2017, le spectacle a pris une autre dimension. Le visuel aide à exprimer les scènes et les messages plus complexes. Mais la lumière est toujours l’élément majeur de la composition spatiale, la musique le fil conducteur de l’histoire dans laquelle l’eau joue le rôle de protagoniste principal, un figurant-danseur, ou même un décor.

Et notre voyage continue. À peine terminée la saison 2021-2022 début avril, l’équipe monte la voile de nouveau pour la nouvelle aventure 2022-2023. D’autant que pendant la crise de la Covid, le nombre de visiteurs du parc avait évidemment baissé mais le nombre de billets nocturnes a même augmenté de nouveau en 2021-2022. La lumière peut apporter l’espoir aux gens dans n’importe quelle situation. Des chiffres prometteurs qui nous poussent vers une plus belle destination encore.

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