La Maison de la Culture de Bourges

La Maison retrouve son outil

Toutes les photos sont de © Patrice Morel

La Maison de la Culture de Bourges fait partie de l’histoire de la politique culturelle française. Elle est la deuxième Maison de la culture, inaugurée en avril 1964 par André Malraux. Elle représente surtout celle qui aura donné, pour la première fois, une place centrale au théâtre, sous l’impulsion de Gabriel Monnet, pionnier de la décentralisation et du théâtre populaire. Aujourd’hui, la Maison de la Culture s’est dotée d’une nouvelle architecture qui, face à l’ancienne, a instauré un nouveau point de repère urbain. L’équipe et le public retrouvent enfin leur maison avec ses espaces clairs, fonctionnels et accueillants.

Parvis, entrée publique, place Seraucourt - Photo © Sébastien Andreï

Parvis, entrée publique, place Seraucourt – Photo © Sébastien Andreï

Lieu symbolique, outil de création

La Maison de la Culture a été aménagée en 1963, dans l’ancienne salle des fêtes de Seraucourt construite entre 1936 et 1938 par Marcel Pinon. Gabriel Monnet en a été le premier directeur : il créa la Comédie de Bourges qui devint, deux ans plus tard, Centre dramatique national. La Maison de la Culture est devenue Scène nationale en 1992. Son architecture présentait des limites spatiales face au développement des activités et surtout face à l’évolution des esthétiques théâtrales nécessitant une réorganisation et une restructuration. Il paraissait évident de penser d’abord à une rénovation de l’existant ; mais le projet s’est heurté à une faisabilité trop compliquée. Le lieu contraint empêchait davantage de profondeur des plateaux des salles. Pourtant, les travaux de restructuration ont été programmés en 2009 et confiés à l’agence Chaix & Morel et associés qui prévoyait la reconstruction des deux salles en conservant la façade principale, classée monument historique depuis 1994. Des fouilles archéologiques ont révélé des vestiges de thermes gallo-romains en février 2012 et les travaux ont donc été interrompus. D’autre part, empiler les deux salles avait pour inconvénient une hauteur trop importante par rapport à la Cathédrale. La destruction des salles a déstabilisé la structure de la façade qu’il a fallu consolider. Face au surcoût engagé, les exigences archéologiques et la difficulté rencontrée sur le site, Serge Lepeltier, maire de Bourges, contraint d’arrêter le chantier, proposa une construction neuve à proximité de la Maison de la Culture. Après le choix du projet en juillet 2013, des oppositions et de nombreux recours juridiques vont retarder le démarrage du chantier qui n’a été possible qu’en 2018 par le nouveau maire Pascal Blanc et inauguré par le dernier maire élu, Yann Galut, en 2021.

Déambulatoire, accès à la grande salle, secteur est - Photo © Sébastien Andreï

Déambulatoire, accès à la grande salle, secteur est – Photo © Sébastien Andreï

Comme l’exprime Olivier Atlan, le directeur de la Maison de la Culture, il n’y a pas de regret à ne pas être dans l’ancien bâtiment qui présentait de nombreux inconvénients. “La symbolique du lieu a cristallisé les oppositions mais en citant Gabriel Monnet qui s’exprima lors de son installation dans les lieux : ‘C’est un lieu de patronage avec lequel il faudrait composer’. Si nous investissons dans un théâtre, il faudrait que cela réponde en tant qu’outil. C’était un symbole mais pas un outil.

Escalier d’accès à la grande salle, niveau R-2 - Photo © Sébastien Andreï

Escalier d’accès à la grande salle, niveau R-2 – Photo © Sébastien Andreï

Collaboration des maîtrises

Quatre équipes ont été choisies pour concourir : Manuelle Gautrand, Architecturestudio et le collectif local Carré d’Arche-Blatter, AAUP-Kauz et le cabinet d’architecture Ivars & Ballet, basé à Tours, finalement choisi avec Architecture & Technique pour la scénographie. C’était le premier projet de théâtre de l’Agence même si elle avait déjà construit le Conservatoire de musique de Bourges. Le projet avait séduit par sa lisibilité et sa fonctionnalité.

L’équipe du théâtre a été associée dès les premières réunions de programmation avec les programmistes Aubry & Guiguet ainsi que le regretté Jean-Michel Dubois pour la scénographie. “Le premier enjeu était que les élus acceptent une jauge inférieure à 1 000 places. Nous avons insisté pour avoir un lieu de création et de production avec une vraie salle de répétition. D’autre part, après dix années hors les murs et dispersées, les équipes administrative et technique avaient besoin de se retrouver et d’être à proximité de l’équipe artistique.” Un travail de collaboration et d’échange s’est engagé avec la maîtrise d’œuvre. Rabah Khima, directeur technique, qui a été associé à toutes les décisions, a été présent tout au long du processus et du chantier ; il a ainsi apporté son regard vigilant et professionnel. L’équipe insiste aussi sur l’écoute attentive des architectes et la bonne entente qui régnait lors des travaux.

Salle Gabriel Monnet (grande salle) - Photo © Sébastien Andreï

Salle Gabriel Monnet (grande salle) – Photo © Sébastien Andreï

L’intégration urbaine

Le site est central, pas loin de la Maison de la Culture, de l’Hôtel de ville et du château d’eau. Tarik Benia, architecte et chef de projet, explique la première approche du projet : “Nous avions montré le parcours du Printemps de Bourges qui passe par différents lieux culturels dont l’auditorium de l’École de musique que nous avions construit. Ce parcours symbolique mettait en évidence que le trajet se bouclait à la nouvelle Maison de la Culture”. Comment intégrer la Maison de la Culture dans ce parcours urbain ? Tout d’abord en valorisant la place haute qui joue le rôle d’un grand parvis pour le Théâtre. Le site est en pente de plus de 8 m, avec deux accès possibles : en haut par la grande place de Seraucourt et en bas par la rue Jean Bouin. Configuration qui pourrait paraître contraignante mais qui, au contraire, est source de propositions fonctionnelles et volumétriques pour le Théâtre, notamment par l’identification des entrées, en polarisant les accès publics par la place de la ville et la logistique par le niveau bas. Une grande cour de service permet l’arrivée des véhicules et le déchargement des camions. “Nous avons commencé par le dessin d’une salle idéale. Le niveau haut de la salle arrivait à 7,10 m. À ceci nous avons rajouté 1 m pour le quai de déchargement et avons atteint les dimensions du dénivelé de la pente.” Un gradinage extérieur devient le croisement du thème de la traversée urbaine et de la scénographie. Ces emmarchements, créant la liaison entre les deux niveaux urbains, donnent aussi accès aux cinémas.

Salle Gabriel Monnet (grande salle)

Salle Gabriel Monnet (grande salle)

Les strates de l’architecture

Nous avons abordé l’organisation des fonctions comme un village culturel. Une toiture débordante crée un auvent et est une enveloppe commune rassemblant une constellation de fonctions et des émergences de volumes pour les cages de scène.” Ce parallélépipède est hiérarchisé verticalement, selon les architectes, en trois strates bâties, profitant ainsi de la pente. La strate basse, intégrée dans la pente, constitue le socle opaque du bâtiment. À l’image des remparts, elle est minérale, dans un camaïeu de beige allant vers le rose pâle, conséquence de la recherche de la colorimétrie à travers la ville. Dans ce socle commun s’incrustent la grande salle, la petite salle, les cinémas et les locaux techniques. “L’inscription dans la pente a eu aussi un effet écologique. Le bâtiment consomme moins et du fait qu’il soit encastré, la température reste plutôt stable, le choc de la température est maîtrisé.” La strate de représentation, en relation avec la place de la ville, joue surtout sur la transparence. Celle qui, en prolongation de la place, crée des perspectives sur les paysages alentours, la vallée et le patrimoine végétal. Cette enceinte vitrée, composée de verres à couches, limite le rayonnement infrarouge. La strate émergente est celle de la cage de scène. Grâce à la pente, elle n’entre pas en concurrence avec la hauteur de la Cathédrale, l’ancienne Maison de la Culture ou le château d’eau mais elle est un appel dans une visibilité lointaine sans être ostentatoire. L’habillage texturé, de couleur dorée en référence aux tonalités présentes à Bourges, reflète le ciel et donne une certaine légèreté à la cage de scène. De hauts panneaux métalliques, partiellement évidés, sont des éléments structurels de l’auvent. Ils redonnent une échelle au bâtiment. “Nous avons voulu faire référence aux pendrillonages de la scène et un clin d’œil aux arbres avec l’image du tronc et des feuillages.

Régie ouverte sur la salle

Régie ouverte sur la salle

Village culturel, fonctionnel, compact

L’organisation de la Maison de la Culture est claire et lisible. Les fonctions s’expriment dans un cadre fédérateur qui devient une identité par rapport à la ville. La forte imbrication des fonctions a pour avantage une économie des circulations. Les liens entre les deux salles et l’espace technique sont directs. L’accueil est de plain-pied, dans la continuité de la place. Le hall lumineux donne à voir le volume de la salle à la ville et est pensé comme un espace de déambulation. Deux failles contiennent des marches pour les entrées à la salle transformable Pina Bausch ainsi qu’au niveau bas de la grande salle. Les emmarchements, entourés d’une rampe à pente douce, sont organisés avec des gradins dont l’équipe va s’emparer pour proposer des animations. Le restaurant est implanté dans une volumétrie entre l’extérieur et l’intérieur pour un fonctionnement autonome. “Nous avons la plus belle terrasse de Bourges”, remarque le directeur. Les panneaux du restaurant sont mobiles et le bar s’ouvre sur le hall. L’accès aux deux salles de cinéma (122 et 161 places) est situé du côté du restaurant avec possibilité d’entrer par l’extérieur, ce qui leur donne une autonomie d’utilisation lorsque le Théâtre est fermé. L’espace pédagogique fait le lien entre les espaces public et administratif qui, au niveau du hall, sont aménagés sur un même plateau et organisés autour d’un patio commun avec l’espace des artistes situé au niveau inférieur. La liaison loges/plateaux/administration/salle de répétition est d’une très grande fluidité. La salle de répétition, nommée René Gonzales, est à la dimension du plateau de la black box, c’est-à-dire 16 m x 25 m, une hauteur libre de 6 m avec une résille au plafond et aux murs. Elle profite de grandes baies vitrées qui peuvent s’occulter. Les angles sud et sud-ouest du bâtiment sont traités par de grandes ouvertures. Elles marquent ainsi deux espaces importants du Théâtre : la salle de répétition et le bureau de la direction technique.

La salle frontale Gabriel Monnet

L’intégrité de la salle a été maintenue depuis le premier dessin de la salle idéale. Ses proportions n’ont jamais été mises en cause, ni par les programmistes ni par les utilisateurs. Nous avons travaillé rapidement en BIM(1) afin de modéliser la salle.” Le volume de la salle est identifiable par son revêtement en bois dans le hall. Les deux accès directs par l’accueil mènent à son niveau haut. Elle a une jauge de 700 places dont quinze PMR et se réduit à 605 par l’installation de l’avant-scène et de son cadre de scène mobile, ce double cadre cher à Jean-Michel Dubois. “La structure compliquée de l’avant-scène a contraint sa spatialisation à cause du double point porteur, dû au joint de dilatation.” Les fauteuils sont en continu avec un pas de gradin de 95 cm et les allées aux extrémités. L’ambiance est feutrée. Les parois sont composées de bois stratifié naturel avec une dernière couche en bois naturel donnant des nuances différentes à la salle. Trop claire au départ, il a été nécessaire de trouver une teinte plus sombre. “Le moteur de la composition de la paroi était acoustique, une peau pour la réflexion et il a fallu ensuite creuser l’écorce pour venir sculpter le cœur du bois et intégrer les réflecteurs dans la même paroi. Nous avons aussi décidé de ne pas cacher les passerelles avec leur esthétique et leur présence physique, donc de ne pas occulter la technique de la salle.

Les postes de régies

Les postes de régies

La salle modulable Pina Bausch

D’une jauge de 200 places, la salle est entièrement transformable, 25 m x 16 m avec une hauteur de 10 m sous gril de marche. La salle est équipée d’un gril et d’un faux gril sur toute la surface. Sur le principe de quatre blocs de gradins rétractables et mobiles et d’une plate-forme motorisée sur Spiralift, quatre configurations sont possibles : une frontale, deux bi-frontales et une tri-frontale. La salle est accessible par le niveau intermédiaire du hall qui mène au niveau de la passerelle et par le niveau haut de la salle en configuration frontale. L’accès au niveau bas est organisé par une circulation périphérique, autour du bloc de la salle, afin de permettre les entrées répondant aux différentes configurations de la salle ; sans rupture de charge puisque la salle modulable est au même niveau que la scène de la grande salle et le gril de la black box à celui de la première passerelle.

Salle Pina Bausch (salle modulable)

Salle Pina Bausch (salle modulable)

L’évolution du projet artistique

Nous pouvons enfin assumer que nous avons un lieu de création et de résidence”, annonce Olivier Atlan. “Avec ces deux plateaux, nous avons deux outils formidables et pouvons programmer des productions que nous ne pouvions pas accueillir, comme des grandes formes par exemple. C’est aussi la raison pour laquelle le spectacle d’ouverture était présenté par des circassiens. D’autre part, artistiquement, lorsqu’un spectacle peut se poser dans un lieu, il est meilleur. C’est pourquoi je souhaite impulser des séries de représentations. Ainsi, nous pouvons élargir le public. Aujourd’hui, nous ne mettons plus en place des abonnements mais des cartes. Les spectateurs se sentent plus libres puisque 20 à 25 % d’entre eux prennent leur place le soir même. Nous avons ainsi accompagné l’évolution des habitudes du public. Nous avons des sorties scolaires en soirée mais aussi des programmations scolaires pour les primaires en journée. C’est la seule manière pour que de nombreux enfants puissent venir au théâtre. Aujourd’hui, un quart du public a moins de vingt-six ans.

Salle Pina Bausch (salle modulable) - Photo © Sébastien Andreï

Salle Pina Bausch (salle modulable) – Photo © Sébastien Andreï

Il est important de rappeler que la Maison de la Culture de Bourges possède un grand atelier de décor de 13 m de hauteur d’une reconnaissance nationale, un vrai support pour les coproductions.

Aujourd’hui, la Maison de la Culture de Bourges a enfin un outil à la hauteur de ses ambitions.

 

 

Notes

(1)   Modélisation des informations du bâtiment

 

 

Générique

 

  • Coût travaux : 26,7 M€ HT
  • Surface de plancher : 8 660 m2
  • Calendrier :
    • Concours : Mars 2013
    • Début des travaux : Février 2018
    • Livraison : Juillet 2021
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