Un rendez-vous des JTSE

CHSCT de branche… pourquoi pas le spectacle ?

Provoquer un débat sur la mise en place d’un CCHSCT (Comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) dans le secteur du spectacle, voilà un challenge courageux relevé par les Éditions AS. Le sujet est disputé voire polémique. Les représentants du PRODISS, du SYNPTAC-CGT, de Thalie Santé et du CCHSCT cinéma étaient appelés à en débattre le 24 novembre dernier dans le cadre des JTSE (Journées Techniques du Spectacle et de l’Evénement).Une discussion importante à l’heure où la cinquième vague est dans tous les esprits. Une table ronde passionnante qui illustre la richesse du dialogue social dans notre pays.


Début d’après-midi ce mercredi 24 novembre. Une petite trentaine de participants se rassemble dans l’espace conférence du Dock Haussmann pour assister à la table ronde relative au CHSCT de branche. Le sujet est pointu ; il attire une poignée de directeurs techniques et d’experts en matière de prévention.
Claire Guillemain (directrice générale de Thalie Santé), Malika Seguineau (directrice générale du PRODISS), Didier Carton (délégué hygiène et sécurité du CCHSCT cinéma) et Rémi Vander-Heym (secrétaire général SYNPTAC-CGT) prennent place. Les débats sont placés sous le signe de la pédagogie ! Que les participants comprennent de quoi il est question et que tous puissent s‘en approprier les enjeux. C’est pourquoi, tout naturellement, tout commence en définissant l’objet des échanges.

Un CHSCT… ça sert à quoi ?

Comme rappelé en introduction de la table ronde, le CHSCT a disparu le 1er juin 2020 à la faveur du CSE (Comité social et économique). Depuis cette date, les CSE ont repris l’intégralité des missions jusqu’ici dévolues aux CHSCT. Il leur appartient d’assurer une mission générale de défense de la santé des travailleurs. En fonction de la taille des entreprises, cette mission générale peut être précisée et formalisée. C’est ainsi que dans les entreprises de plus de cinquante salariés, les CSE se voient confier les objectifs suivants : procéder à l’analyse des risques, faciliter l’accès des femmes à tous les emplois, adapter et aménager les postes aux travailleurs handicapés, proposer toute initiative pour prévenir le harcèlement moral et sexuel.

Le CSE est donc en charge des questions de prévention, mais 93,80 %CSE (Comité social et économique) des entreprises du secteur n’atteignent pas l’effectif nécessaire pour en être pourvu.

Face à une situation analogue, le secteur du cinéma a opté depuis de longues années pour une solution spécifique : la mise en place d’un CCHSCT. Didier Carton en raconte la genèse et rappelle que la création d’un comité central d’hygiène et de sécurité remonte à 1963. Face à un mode de production caractérisé par de petites entreprises mobilisées de manière intense sur des périodes très courtes, les partenaires sociaux ont choisi d’élever le débat au niveau de la branche. Ils animent ainsi, en continu, une réflexion d’ensemble sur la sécurité, la prévention et les conditions de travail.

Un conseiller technique se déplace de tournage en tournage et transmet aux partenaires sociaux les problématiques observées sur le terrain. Ces remontées d’informations alimentent les réunions du CCHSCT et favorisent le déploiement d’outils utiles à l’ensemble des entreprises du secteur. C’est ainsi que, durant le premier confinement, le CCHSCT cinéma a pu proposer un guide de préconisation sanitaire validé par le ministère du Travail, rédigé par des experts et enrichi par les partenaires sociaux. Un guide qui a permis d’apporter une réponse collective et – de l’avis de Didier Carton – a accéléré la reprise.

La Covid-19 n’est pas la seule menace qui mobilise cette instance. Les questions de harcèlement et de comportements sexistes sont au cœur des travaux. Un livre blanc a été rédigé et un kit de prévention ne tardera pas à être diffusé.

Rassembler les informations, produire de la doctrine, mobiliser experts et partenaires sociaux, rendre ces travaux accessibles à l’ensemble des acteurs de la branche, nous devinons aisément la plus-value de cette structure pour un secteur comme celui du cinéma.

Convergence de points de vue

À travers la FNSAC-CGT (Fédération nationale des syndicats du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle-CGT), le SYNPTAC-CGT (Syndicat des personnels techniques, administratifs et d’accueil du théâtre et des activités culturelles) a bénéficié d’un retour d’expérience concernant le CCHSCT cinéma. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, ce syndicat de salariés revendique la mise en place d’une structure aux missions analogues dans le domaine du spectacle. Rémi Vander-Heym, son secrétaire général explique : “Sur les 20 000 entreprises du secteur du spectacle, la grande majorité des structures ne dispose pas de CSE. La plupart des travailleurs n’a pas la possibilité d’évoquer les problématiques de prévention et d’organisation du travail avec leur employeur”.

Le SYNPTAC-CGT préconise la mise en œuvre d’un CCHSCT composé de partenaires sociaux et de personnalités qualifiées, animé par une équipe de permanents en lien constant avec des experts (Thalie Santé par exemple). Quant aux actions ou au fonctionnement précis, tout reste à inventer. Rémi Vander-Heym le défend avec conviction : “Ces questions relèvent du dialogue social ! Nous pouvons poser une orientation, mais c’est bien l’échange entre des représentants de salariés et des représentants d’employeurs qui permettra de définir la réalité des actions mises en œuvre”.

Le PRODISS, syndicat national du spectacle musical et des variétés, représenté par Malika Seguineau, s’accorde sur ce point. Elle rappelle que le PRODISS, premier syndicat employeur de la branche privée du spectacle, mène, depuis de nombreuses années, des actions dans le champ de la prévention. Ainsi, la question de la création d’un CCHSCT n’est pas étrangère à ses travaux. Aujourd’hui, le PRODISS anime une commission qui devra aboutir à la création d’un CCHSCT propre à la branche du secteur privé du spectacle vivant. Quand ? Sur quels sujets ? Avec quels moyens ? La secrétaire générale du PRODISS rappelle à son tour que ces questions relèvent de la négociation sociale. Malika Seguineau souligne néanmoins son engagement : “Une branche qui s’organise sur les questions de prévention et de sécurité au travail propose un référent aux pouvoirs publics. Pendant la crise sanitaire, nous n’avions pas de référents et nous avons ressenti ce manque. Je crois que sur cette question, il faut aller très vite. […] Pendant cette crise, pour avancer, nous nous sommes beaucoup appuyés sur le guide produit par le cinéma que nous avons trouvé exemplaire”.

Ainsi, le PRODISS appelle également de ses vœux une structure référente, capable d’élever au niveau national les problématiques les plus urgentes : protocoles sanitaires, risques psychosociaux, égalité femme-homme, … Les chantiers ne manquent pas.

Divergence sur le périmètre

Si les organisations syndicales présentes s’entendent sur la nécessité de faire appel à un référent national sur les questions de prévention, subsiste une divergence de fond que nous ne pouvons ignorer. Cette divergence concerne le périmètre du CCHSCT. Le secteur du spectacle est en effet composé de deux branches distinctes : la branche du spectacle vivant privé et la branche du spectacle vivant public. Chaque branche dispose de sa propre convention collective et de ses partenaires sociaux, de ses instances paritaires, de ses logiques économiques et sociales, …
Pour le SYNPTAC-CGT, le comité central d’hygiène et de sécurité n’a de sens que s’il s’inscrit dans une logique interbranche. Rémi Vander-Heym explique : “Le spectacle vivant est porté par la population des intermittents du spectacle qui a des employeurs multiples et qui ne cesse de traverser l’ensemble des secteurs. Scinder le périmètre de la réflexion d’un CCHSCT au dimensionnement d’une branche ne nous semble pas pertinent. C’est pourtant la situation dans laquelle nous sommes contraints de réfléchir car les organisations professionnelles d’employeurs n’ont pas souhaité s’inscrire ensemble dans cette réflexion”.

Malika Seguineau ne s’attarde pas sur la question et précise qu’elle ne peut s’exprimer pour la branche du spectacle subventionné. Elle plaide néanmoins pour une approche pragmatique qui permettra d’amorcer la dynamique : “Il faut avancer ! L’essentiel est d’initier la démarche pour que nos entreprises s’aperçoivent de l’utilité et de la pertinence de l’outil pour ensuite contribuer plus fortement à son développement”. C’est dans ce cadre qu’elle souhaite que s’inscrivent les travaux relatifs au CCHSCT de la branche privée du spectacle vivant. Aller vite, s’attacher aux questions de fond et répondre aux besoins des entreprises.

Si la branche du secteur privé est à pied d’œuvre, qu’en est-il du secteur subventionné ? La question vient légitimement de la salle et nous sentons une forme d’embarras sur scène. Impossible de répondre. Impossible de parler pour les organisations syndicales d’employeurs de la branche publique. Rémi Vander-Heym se lance dans un numéro d’équilibriste : “J’ai un avis, mais ce n’est qu’un avis qui n’a pas grand intérêt. Une chose est certaine, cela fait des années que le SYNPTAC-CGT porte la revendication d’un CCHSCT interbranche. Récemment, j’ai proposé de remettre ce sujet au centre des négociations, mais j’ai senti qu’il ne s’agissait pas d’une question prioritaire”.

Redéfinir l’outil
Pour dépasser les clivages, Claire Guillemain suggère de s’intéresser aux besoins du secteur. Le fond avant la forme : “Le CCHSCT est un outil. Il faut chercher ce qui manque aujourd’hui aux professionnels du spectacle. Quels sont les trous dans la raquette ? Quels besoins ne sont pas satisfaits ? Je pense aux salariés intermittents, aux salariés permanents, aux employeurs privés, aux employeurs publics, aux employeurs des deux branches réunies, aux partenaires sociaux, aux instances représentatives du personnel, … Ces acteurs ont peut-être besoin d’un CCHSCT mais ils ont peut-être besoin d’autre chose. Pourquoi pas une mission particulière sur les protocoles sanitaires ou sur les risques psychosociaux… Interrogeons-nous d’abord sur les besoins pour définir l’outil le plus adapté”.

Claire Guillemain souligne par ailleurs que Thalie Santé dispose d’une compétence nationale pour traiter de la santé et de la sécurité des intermittents du spectacle. La directrice générale de Thalie Santé l’affirme : la structure qu’elle représente est bien au service d’une branche professionnelle. Il s’agit du niveau pertinent pour un secteur d’activité comme celui du spectacle vivant. L’intermittence du spectacle impose en effet cette structuration. Techniciens et artistes intermittents ne s’adressent pas à leur employeur pour parler santé. C’est donc bien au niveau de la branche que tout se joue.

Les travaux sont en cours dans chacune des branches, au sein du conseil d’administration de Thalie Santé ou dans d’autres instances comme le rappelle Claire Guillemain. Les discussions sont animées. La crise sanitaire agit comme un accélérateur et les partenaires sociaux sont mobilisés pour apporter des solutions. Malika Seguineau parle “d’alignement des planètes” et se dit déterminée à mettre en place très rapidement un CCHSCT dans la branche privée du spectacle.
Didier Carton juge les travaux en cours fondateurs et souligne l’intérêt d’une structure dédiée aux logiques de prévention : affectation de moyens, professionnalisation, expertise, travail en réseau, … Il invite également à s’intéresser aux entreprises non adhérentes. Comment diffuser les bonnes pratiques en dehors du cercle syndical ?

À l’issue de la rencontre, les discussions se poursuivent dans les travées. Quel avis sur la création d’un CCHSCT dans le domaine du spectacle ? Pour ou contre… personne n’est indifférent. Chacun sait que la crise sanitaire n’est pas terminée et que les solutions sont collectives. Le CCHSCT est une réponse. Il en existe peut-être d’autres. L’essentiel est d’avancer vite et d’être efficace. Les professionnels en ont besoin alors que la cinquième vague fait déjà parler d’elle.

 

 

Notes

(1) Statistique 2015 de l’Observatoire du spectacle vivant

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