Toutes les photos sont de © Patrice Morel
C’est l’histoire d’une Scène conventionnée à quelques pas de la frontière suisse. Un théâtre à la jauge imposante bâti dans les années 80’, agrégé en 2003 d’une salle de concert, d’un petit club et de quatre studios de répétition, puis en 2006 de bureaux et d’espaces techniques. C’est le reflet d’une politique culturelle pensée avec ce Château Rouge comme pivot central. C’est l’esprit d’une SMAC et d’une Scène nationale rassemblées. Brassage de publics, rayonnement affirmé, mélange des disciplines, pratiques artistiques et actions culturelles, … C’est à partir de ce conglomérat de bâtiments que les architectes de l’agence Z Architecture ont dessiné un projet fidèle à l’esprit du premier.
Ouvrage, œuvre, usage : la trinité
De la visite des lieux avec Frédéric Tovany, directeur de Château Rouge, à la conversation avec Robin Marion, architecte, l’opération relifting résonne en harmonie. Le second chante les louanges du premier et vice versa. Il faut dire, et cela n’est jamais démenti, que dès lors que les trois maîtrises ouvrage/œuvre/usage sont réunies et travaillent main dans la main, l’efficacité et la justesse des constructions se lisent dans les réalisations de manière immédiate. C’est le cas ici, où, dès le programme, Frédéric Tovany et son directeur technique Gérard Mansis ont été associés aux réflexions. L’équipe de maîtrise d’ouvrage qui a présidé à la destinée du nouvel édifice était composée, outre Tovany et Mansis, de Marie-Claire Louyot, directrice des services techniques de la Ville d’Annemasse et d’Olivier Granger du cabinet Amome Conseils pour l’assistance à maîtrise d’ouvrage. Ce quatuor, comme décrit par Tovany, s’est mis au travail dès 2014 sur la base d’une première étude de préfiguration établie par l’Atelier Peytavin : “Cette première étude, menée entre 2013 et 2014, a servi à alimenter le programme et le concours. […] Il y avait une quarantaine de candidats. La Ville en a retenu trois : Z Architecture, Blond & Roux architectes et Périphériques Architectes. Trois projets très différents. Z Architecture l’a emporté. C’était le plus proche de l’ADN du lieu”. L’esthétique de la grande salle initiale, façonnée de cannelures en béton typiques des années 80’, a été source d’inspiration. “L’ensemble était très disparate sur le plan esthétique. Cette grande salle initiale, circulaire, avec des alvéoles et du béton cannelé ainsi que les deux autres volumes plus récents. L’un en cuivre intégrait le bâtiment d’administration où ont été créées de nouvelles salles et l’autre, vers l’arrière, un peu moins visible mais très rouge, se distinguait aussi. La problématique donc, du côté de l’architecture, a été de composer avec ce qui était déjà présent. Tout cela était très hétéroclite. Nous ne voulions surtout pas charger et ajouter un autre langage. Il a fallu s’intégrer dans l’emprise du volume existant. Nous avons cherché un socle de référence à travers ce béton cannelé. Idéalement, nous aurions souhaité conserver une partie du bâtiment initial. Mais pour des raisons structurelles et techniques, il a fallu reconstituer ces cannelures en les revisitant. Les retours communiqués au moment où nous avons gagné le concours convergeaient vers un même point : nous étions l’équipe qui respectait au mieux le bâtiment initial, qui ne détériorait pas son image.” Tout le principe du projet a été de s’insérer dans l’emprise du bâtiment existant afin d’en faire émerger les volumes de la salle et de la cage de scène.
Une cage de scène de 17 m
Comment intégrer une cage de scène de 17 m de haut sans effacer l’image du bâtiment d’origine ? Il s’agissait d’en conserver la lecture depuis le parvis d’entrée. “Nous sommes partis de là ; de boîtes qui émergent du volume existant. Il était donc nécessaire d’enlever la charpente. La toiture existante a été supprimée mais le volume de la salle et le volume de la cage de scène s’insèrent dans l’emprise de la salle initiale construite en 1980.” Tovany et Mansis dessinent un plateau d’une belle ampleur : 530 m2, 17 m de hauteur sous gril, 17 m d’ouverture au cadre, 7,50 m de hauteur sous cadre, 31 m de mur à mur, 14,50 m de profondeur. La salle modulable prévoit une métamorphose en trois jauges allant de 500 (tout assis) à 1 500 en configuration assis debout. 410 places en tribune rétractable permettent une configuration de type concert et 618 places en gradin fixe. Les espaces, réorganisés autour d’un hall généreux, se livrent en transparence à un vaste parvis qui accueille le public. À l’étage, une terrasse sonorisée aux allures de belvédère – une idée de Frédéric Tovany – offre aux spectateurs un espace détente en extérieur et un point de vue sur la ville. L’outil est impeccable. Cintres motorisés à vitesse variable, perches tous les 50 cm. C’est autour de cette cage de scène que s’orchestrent les espaces. L’idée de départ était de pouvoir exploiter plusieurs salles en même temps. Il a donc été nécessaire de travailler sur les flux de spectateurs. L’emprise foncière, augmentée à l’avant et à l’arrière, a permis de répondre à cette demande de co-activités. Ainsi, il est possible d’assister en simultané à un concert de musiques actuelles dans la salle de concert et à une représentation (toutes disciplines confondues) dans la nouvelle salle. Pas de pollution sonore et des accès facilités. “En termes d’usage, la scène est accessible de plain-pied. Les camions peuvent décharger directement sur scène. Les accès sont simples. Tout a été pensé et construit à partir de cet îlot central qu’est la grande salle. Frédéric Tovany et Gérard Mansis ont été hyper présents et cela a été un avantage considérable pour nous. C’est une vraie chance d’avoir une maîtrise d’ouvrage aussi compétente et présente. Ils savaient exactement ce qu’ils souhaitaient.” Château Rouge est un marqueur pour la Ville, un repère fort pour les habitants. Depuis le parvis, cet ensemble reconstruit paraît avoir été là depuis toujours.
Une merveille de simplicité
La visite épate tant tout paraît simple. Ce qui est toujours le signe d’un travail précis et d’une réflexion sérieuse. Rares sont les salles construites avec une pensée si concrète à destination des artistes, des équipes et des publics. Les accès bien sûr, dont nous avons déjà parlé, une buanderie baignée de lumière, des circulations élémentaires mais redoutablement efficaces. En termes de fonctionnalités intérieures, un monte-charge dessert tous les niveaux, y compris un accès aux passerelles. Il est placé de manière stratégique et sert autant aux équipes qu’aux personnes à mobilité réduite. Les loges sont simples, fonctionnelles et jouxtent la salle à jardin. Trois loges collectives, deux loges individuelles séparées par un espace sanitaire et un espace vestiaire pour les techniciens. La jonction entre les deux bâtiments s’efface au profit d’un grand hall qui pourrait paraître vaste mais qui crée le lien avec un mobilier simple et élégant. Des sanitaires destinés au public, un vestiaire et un espace billetterie font le lien entre les deux espaces. Les flux publics et personnels sont distincts. Le point de passage d’un lieu à l’autre se fait totalement oublier et le grand hall baigné de lumière accueille avec une vue sur le parvis et un escalier qui invite à rejoindre le belvédère. La réalisation s’est enrichie de deux agences pour la scénographie : Creafactory et Atelier Audiovisuel. Robin Marion précise que la collaboration s’est très bien déroulée car les missions étaient clairement définies et partagées. À Creafactory revenaient les tentures de scène et passerelles scéniques, à Atelier Audiovisuel les tribunes, gradin et équipements électriques. En salle, la réduction de la jauge (réduite à 500 pour les représentations théâtrales) s’effectue à l’aide de simples rideaux noirs et le résultat est probant. L’outil de travail est accueillant et les dimensions du plateau appellent un programme où le mélange des disciplines s’exprime en faveur d’œuvres de haute tenue pour le plus grand nombre. L’enveloppe extérieure s’impose comme un liant.
Le volume de la cage de scène est en bardage métallique laqué rouge assorti d’une résille métallique perforée blanche. Cette dernière, translucide, laisse entrevoir le volume rouge en arrière-plan. Et bien sûr, le béton et sa cannelure. L’exemplarité du projet, réalisé en grande partie par des entreprises régionales, et de sa réalisation n’est plus à démontrer. Sa simplicité est le fruit d’un travail en commun intelligent. Et Tovany connaît son affaire. Il est calme, professionnel, impeccablement précis, une force tranquille et reconnaissante. “William et Robin nous ont vraiment associés, avec Gérard notre directeur technique, au dessin de ce plateau. Donc nous l’avons rêvé comme nous le voulions et la réalisation est très fidèle à nos souhaits. Le fait de suivre le chantier, de répondre aux demandes, d’être présents, facilite grandement les choses.” Une belle leçon d’humilité. Et pas à pas, Château Rouge, devenu Scène conventionnée, s’est refait une beauté et s’impose dans le paysage franco-suisse en douceur mais résolument. Nous sommes tentés de saluer l’intelligence et le professionnalisme. Rien ne résiste au travail et tout est plus simple quand la maîtrise d’ouvrage associe les utilisateurs des lieux. Encore un bel exemple pour prouver à quel point les directions de lieux en présence des directrices ou directeurs techniques sont essentiels dès l’écriture du programme.
– Maîtrise d’ouvrage : Ville d’Annemasse
– AMO : Olivier Granger, Amome Conseils
– Architecte mandataire : Z Architecture
– Architecte associé : AER Architectes
– Surface : 7 224 m2 SP
– Livraison : 2020
– Budget : 8 280 000 € HT