Nouveau système son au Festival d’Avignon
Exit les deux mille haut-parleurs installés dans le gradin de la Cour d’Honneur depuis 2002, le système imaginé par André Serré vient d’être remplacé par un concentré de nouvelles technologies. Retour sur un travail en cours, avec l’équipe du Festival et celle du fabricant d’enceintes Amadeus.
Le renfort sonore en Avignon
Les premiers essais d’André Serré, dès 1981, ont abouti, en 2002, à équiper le gradin de deux mille haut-parleurs assurant le renfort sonore des voix des comédien.nes au Festival d’Avignon. Le montage/démontage, les conditions de température de stockage puis d’exploitation, ont eu raison de l’endurance du matériel. “Ce n’était pas une sonorisation mais un renfort, tout comme nous l’avons demandé pour le nouveau système”, précise Daniel Pires.
“L’installation et la maintenance devenaient mission impossible, tant en termes matériel qu’humain ; il fallait cinq jours à cinq technicien.nes pour installer le système. Mais néanmoins, nous n’avions pas exclu ce type de système du cahier des charges de la future installation”, nous confie Philippe Varoutsikos. Avec la sixième Cour, il était évident qu’il fallait aussi renouveler le système de renfort sonore. Daniel Pires explique : “La conjonction de l’apparition de nouvelles technologies telles que la WFS et le retour d’expérience sur l’ancien système nous a tout de même conduits à pencher vers le système proposé par Amadeus, tout en gardant nos trois points de diffusion line-array L-Acoustics dV-DOSC dans les fenêtres du Palais, au lointain, amplifiés par des LA8 récemment acquis”.
Après une écoute du système Holophonix(1) installé au Théâtre National de Chaillot, l’équipe d’Avignon est convaincue, bien que consciente du challenge que représente l’impossibilité d’avoir une ligne de diffusion haute à la Cour d’Honneur.
“Le renfort sonore n’était pas inclus au marché, c’était une option (PSE) qui n’a pas été retenue au départ pour des raisons financières. Ce n’est qu’après la signature du marché que les budgets ont été rallongés par la Région et l’État : la PSE son a alors été remise d’actualité en novembre 2020 puis définitivement validée en février 2021.” S’ensuit alors le début d’une course contre la montre…
Pour des raisons en grande partie liées à la pandémie, le chantier du gradin a pris trois semaines de retard ; or, sans gradin, difficile de caler un système son… Le groupement en a fait les frais financièrement et le temps d’installation et de réglages sonores – victime collatérale – fut réduit à peau de chagrin.
Une équipe très engagée
La première proposition scénographique incluait des galeries latérales et un balcon. Amadeus avait imaginé un dispositif plus enveloppant, proposant toujours une rampe WFS, un plan stéréophonique en line-array, mais également un bon maillage d’enceintes autour du public permettant une écoute immersive. La direction du Festival a ensuite fait modifier le projet et l’équipement audio a dû s’adapter. “Cela faisait sens de se lancer dans un programme de recherche car la problématique n’a pas de réponse standard”, insiste Gaëtan Byk.
Le système proposé est donc principalement composé d’une antenne WFS posée ou en applique, selon les configurations, au nez-de-scène. Cette rampe est constituée de vingt modules longue portée, contenant chacun deux “cellules” spécialement développées pour ce chantier. Les enceintes sont amplifiées par quarante canaux Powersoft.
Michel Deluc, concepteur des enceintes Amadeus, détaille : “Chaque cellule est passive et constituée de deux médiums et un tweeter montés en MTM, chargés par un double guide d’ondes situé devant le tweeter, conçu pour canaliser également l’énergie des médiums et permettre ainsi de régulariser la réponse hors axe. Ce montage MTM présente un lobe dans l’axe horizontal, ce qui permet d’optimiser la juxtaposition des cellules ; et ce lobe se resserre quand nous grimpons dans l’axe vertical”. Cette rampe, qui devait couvrir uniformément le premier tiers du gradin, a surpris par sa portée : il n’y a que 15 dB d’atténuation entre le premier et le dernier rang de gradin ; la rampe est donc encore perceptible en régie. Cette atténuation est de plus très homogène fréquentiellement, avec un petit gain entre 2 et 5 kHz avec l’éloignement, favorisant l’intelligibilité. La contrainte qui n’a pas pu être déjouée est la courbure du gradin qui ne permet pas d’échapper les premiers rangs.
Cette rampe couvrant environ 40 % du gradin, il a fallu adjoindre un système stéréo qui, avouons-le, n’est pas optimal. “Dès le mois de mars 2021 s’est profilé le projet d’un système stéréo sous forme de colonnes, mais nous n’avions absolument plus le temps de développer ces produits, d’où l’installation en location de cinq têtes de line-array DIVA M2 de chaque côté. Encore une fois, l’emprise esthétique primant dans ce lieu, nous nous retrouvons dans la pire des configurations : trop bas(2), trop latéralisé et avec peu de boîtes”, nous confie Gaëtan Byk. Des guides d’ondes custom ont été développés pour faire passer la directivité du line-array de 100 à 80°, afin d’éviter au maximum les réflexions latérales. Le bas du spectre, quant à lui, est diffusé par l’ancien système toujours en place (L-Acoustics dV-sub au lointain et SB218 sous le gradin).
“Avec le recul de ce mois d’exploitation, le parti pris de privilégier la perception de la localisation des sources au détriment de l’intelligibilité n’a pas été judicieux ; et faute de temps, nous n’avons pas pu tester les autres algorithmes de spatialisation que propose Holophonix, pour la musique par exemple.”
Ce plan stéréo n’était pas inclus dans le bus principal WFS (difficile d’intégrer des enceintes aussi éloignées de l’antenne) mais, suite à des essais durant le Festival, il sera tenté deux solutions : soit un bus WFS supplémentaire à deux sorties, soit un simulateur de couple AB dont l’écartement peut être choisi. “Nous serons alors dans une cohérence de mixage-objet unifié, calé par rapport à une source.”
Le projet pour 2022 demeure principalement le développement d’enceintes dédiées à ce bus. Michel Deluc se dirige vers la création d’une longue ligne-source, de 3 à 4 m de long, accrochée à 12 m de haut pour pouvoir viser le plus loin possible dans le gradin. Le couplage sur une telle longueur permet une directivité contrôlée jusque dans le bas médium et un raccordement avec les subs à 60Hz (!), bien que l’ensemble ne soit constitué que de haut-parleurs de petit diamètre. La forme reprendra les lignes et la structure curve de la Philharmonia imaginée avec Jean Nouvel. Pour les années suivantes, Gaëtan Byk préconise de traiter la restitution du grave et des arrières pour obtenir une diffusion homogène et immersive.
Holophonix version Avignon
Côté logiciel, Adrien Zanni souligne les nouveautés d’Holophonix, développées pour Avignon. En premier lieu, une amélioration GUI qui permet désormais de disposer les sources et les enceintes sur un plan 3D du site. Ensuite, une adaptation de la diffusion WFS aux spécificités du lieu : une (très) grande ouverture, et un nez-de-scène convexe, comme souvent, mais qui éloigne d’autant plus un auditeur de l’axe d’un haut-parleur opposé spatialement. L’antenne, courbe, mesure 40 m et cela a donné du fil à retordre à l’équipe… La solution inspirée et développée par Marc Piera (Théâtre National de Chaillot) et Thibaut Carpentier (Ircam), a été de proposer un deuxième bus WFS “inverse” et filtré (bande de fréquences liées à la voix) : il ramène du gain sur les enceintes qui seraient quasi muettes dans le cas d’une source excentrée et relève l’intelligibilité tout en gardant la localisation. Cet effet s’active progressivement en fonction de l’éloignement latéral de la source. L’algorithme a pu être affiné lors de tests au Théâtre National de Chaillot et in situ avec une base de travail essentiellement perceptive et empirique. Lors d’une nuit de réglages à la Cour fin juillet, l’équipe a déployé six micros et effectué plus de quatre cents points de mesure. L’efficacité du système de double bus, déjà constatée perceptivement, a pu être confirmée par les mesures. Mais, inévitablement, ce système permettant de gagner en intelligibilité fait perdre un peu de précision sur la localisation des sources. “Il y a deux potentiels écueils à éviter en WFS : avoir une grille de positions (“pas” de délai) trop serrée, ce qui sature la RAM et peut générer des “clics” numériques lors des déplacements, ou au contraire trop lâche, ce qui entraîne des artefacts de type effet Doppler. Nous avions une grille très dense, une valeur tous les 10 cm, et les déplacements étaient vraiment très précis et fluides. Mais multiplié par vingt-quatre sources et plusieurs bus WFS, cela représente un coût en mémoire vive trop important. Avec le retour d’expérience, nous avons décidé, avec Thibaut Carpentier, de supprimer le concept de matrice de positions car le calcul d’interpolation entre deux positions de la matrice est finalement plus lourd que de calculer la position en temps réel. La latence qui en découlera sera tout à fait acceptable.”
Une réflexion est également à mener sur le positionnement des micros HF : le coût timbral n’étant pas neutre avec la WFS, il faut particulièrement soigner la prise de son.
Un expert en WFS
Marc Piera, responsable du département son au Théâtre National de Chaillot, a suivi le chantier pour Amadeus et assuré le calage système. Il est un des rares ingénieurs du son en France à avoir un recul suffisant sur la technologie en question : il met en œuvre depuis quelques années à Chaillot une diffusion en WFS, tout d’abord à l’aide d’un processeur Sonic Emotion Wave1, et désormais avec un Holophonix. “Il m’est insupportable, quand la proposition n’est qu’un soutien, de devoir chercher où est la source, d’être perdu entre plusieurs voix pour savoir qui parle… La problématique de la Cour d’Honneur pour le renforcement de la voix est exceptionnelle : les distances sont telles, tant dans la taille du gradin que dans la largeur de la scène, que ceci implique qu’en dehors de la problématique d’une couverture homogène, nous avons un enjeu considérable de gestion du temps. Comme la physique s’acharne à ne pas changer, le temps n’est pas malléable et nous avons besoin de lui. Il a donc fallu travailler sur un algorithme de traitement de la diffusion qui nous permettrait de garder cette cohérence. Avec Gaëtan, Thibaut, Clément et Adrien, nous avons abouti à ce qui sera une solution solide pour réaliser ce challenge.”
Le principe de double bus WFS n’éloigne-t-il pas le système de la “pure” synthèse de front d’onde ?
Marc Piera : Nous restons cohérents en temps et en énergie, les principes de la WFS sont conservés. Nous ramenons plutôt une sorte d’acoustique “surnaturelle” car nous utilisons plus de HP dans les zones d’intelligibilité. Une fonction inverse de la WFS (en gain, et de façon très minime, pas en temps évidemment) alimente un bus spécifique ; il n’y a donc pas de superposition de signaux par rapport au bus WFS principal. Par le filtrage, nous renforçons alors les harmoniques des voix des comédien.ne.s, ce qui permet d’améliorer l’intelligibilité tout en gardant une cohérence spatiale.
Marc nous indique que pour transformer ces algorithmes calés empiriquement, par intuition et à l’oreille, en règle adaptable à tout setup d’enceintes, il faudrait pouvoir intégrer les lobes de directivité de chaque enceinte dans le calcul ; mais c’est encore de la science-fiction, la puissance de calcul n’étant pas suffisante. “Nous pourrions également optimiser le renfort en choisissant individuellement la partie du spectre qui ramènerait le plus d’intelligibilité et ainsi n’amplifier qu’un signal réellement utile ; ceci est par contre envisageable avec les moyens actuels.”
Qu’attendez-vous de l’édition 2022 ?
M. P. : Il est essentiel que nous puissions bénéficier l’année prochaine d’un vrai temps de travail pour peaufiner les réglages d’un système qui n’existe nulle par ailleurs dans cette configuration. Et nous aurons la chance de pouvoir mettre en place le système de tracking TTA Stagetracker prêté par le Théâtre National de Chaillot.
La perception des régisseurs
L’équipe de régie son de la Cour d’Honneur est composée d’Étienne Fortin, Pierre Routin et Laurent Courtaud. Nous avons pu recueillir les témoignages de Pierre durant le Festival et de Laurent un peu plus tard.
Il en ressort plusieurs aspects, positifs ou parfois plus circonspects… Les régisseurs, intermittents, ont dû faire avec ce système, sans avoir été inclus dans les décisions. Néanmoins, ils ont la curiosité de leur métier et ne demandent qu’à mettre en œuvre cette nouvelle diffusion. La première difficulté, après leur propre prise en main – ultra-rapide – du système, a été de convaincre le personnel accueilli de changer leurs habitudes, de jouer de pédagogie : plus d’Aux, de bus, de diffusion en mono dirigée ou stéréo, place aux directs out vers les entrées de l’Holophonix.
Pierre Routin nous confie : “La localisation des sources joue psycho-acoustiquement sur l’intelligibilité. Tant que nous restons sur du renfort sonore de la voix, le système reste très naturel mais perd en qualité quand nous passons en mode sonorisation”. Le contrôle de la dynamique limité à celle des entrées (tranche micro de la console) lui pose également problème mais pourra certainement être intégré de façon logicielle également aux sorties du processeur, si possible sous la forme d’un égaliseur dynamique, en particulier pour contrôler la réponse acoustique du lieu.
Un gain certain, mais…
Sur le spectacle La Cerisaie, sans système de tracking, les régisseurs étaient chargés de piloter les positions des sources à l’aide d’une souris. “C’est là que nous nous sommes rendus compte, en séparant les sources spatialement, du gain d’intelligibilité très appréciable.” Mais assurer une conduite de positionnement des sources à la souris mobilise deux régisseurs par représentation ; un système de tracking devient alors plus que légitime… Les déplacements dans l’ouverture de la scène sont très efficaces, ceux en profondeur pas forcément probants, et la zone de déplacement de la source dans le logiciel doit être plus limitée que la zone réelle, sous peine de latéralisation extrême, inintéressante voire pénalisante en termes d’intelligibilité. Quoiqu’il en soit, Laurent Courtaud affirme que le gain en qualité audio par rapport à l’ancien système de petits HP est indéniable, ainsi que sur la localisation, bien évidemment. “J’entends enfin des voix au plateau et non un son de radio dirigé vers les pieds des spectateurs…” Le bémol se situe dans le manque d’homogénéité timbrale constatée entre le bas du gradin et la régie, contredisant les mesures constructeur.
Lors du spectacle Sonoma, la musique a été diffusée sur le système Amadeus uniquement, sans utiliser les dV-DOSC du lointain. Laurent a été agréablement surpris par une image stéréo très large et en même temps assez précise ; il a effectué différents essais de largeur de l’objet stéréo et est arrivé à un résultat concluant.
Repenser son travail
Côté ergonomie du logiciel, cela semble satisfaisant ; l’interface se présente sous une forme client-serveur et la fenêtre de commande s’ouvre dans n’importe quel navigateur (Chrome conseillé). L’ordinateur de contrôle se connecte en réseau au processeur distant Holophonix, situé sous la scène. “Il y a énormément de paramètres mais la méthode pour créer des sources et des bus a été rapidement acquise”, nous indique Laurent Courtaud. Malgré les 3 s de réverbération du lieu, la possibilité d’additionner des premières réflexions au signal en fonction de son éloignement a également été appréciée.
Les deux régisseurs sont plutôt pour simplifier le workflow, ne pas tomber dans le piège des possibilités très étendues qui peuvent perdre l’utilisateur, tant que la maturité et l’expérience ne sont pas au rendez-vous. “Nous devons être dans une démarche d’efficacité et de simplification car cet outil rajoute une dimension à notre savoir-faire ; il nous faut trouver les méthodes et cela demande du temps de test, de préparation de setups, … ”
Du temps, il en faudra à l’équipe pour prendre totalement en main l’outil, comprendre d’où peuvent venir les éventuelles pannes ou bugs. Ce paramètre de confiance en l’outil et de sa maîtrise, et donc du surcroît de stress généré, est à prendre en compte dans la relation que peut avoir un.e régisseur.se avec de nouveaux process.
Cette installation est en développement et le budget n’est pas épuisé : Amadeus continue de plancher… Et c’est bien là toute la force d’un projet public : favoriser la recherche, quitte à finaliser le projet sur deux éditions. L’innovation et la prise de risque sont tout à l’honneur de l’équipe du Festival et de celle d’Amadeus. “Nous avons toujours voulu être précurseurs pour ensuite en faire profiter le milieu”, confirme Philippe Varoutsikos.
(1) Processeur de signal audio Amadeus permettant une spatialisation des sources sonores en utilisant de multiples formats, dont la WFS
(2) Point d’accroche à 7,50 m
Festival d’Avignon
- Direction : Olivier Py
- Direction technique : Philippe Varoutsikos
- Régie générale son : Daniel Pires
- Régie générale Cour d’Honneur : Jérôme Delporte
- Régie son Cour d’Honneur : Pierre Routin, Laurent Courtaud, Étienne Fortin
Équipe de recherche et d’intégration
- Directeur de la R&D, concepteur des équipements électroacoustiques : Michel Deluc (Amadeus)
- Consultant, ingénieur système en charge de la calibration du système de diffusion et de la mise en œuvre du processeur Holophonix : Marc Piera (Théâtre National de Chaillot)
- Chercheur : Adrien Zanni (Amadeus), Thibaut Carpentier (Ircam)
- Technicien, formateur, assistance lors des premières exploitations : Vincent Nicolas (Amadeus)
- Responsable de la fabrication : Salvatore Franze (Amadeus)
- Directeur : Gaëtan Byk (Amadeus)
Spécifications de la rampe sonore
- Bande passante : 80 Hz – 20 kHz
- Sensibilité (2,83 V, 1 m) : 98 dB
- Niveau SPL MAX : 125 dB
- Dispersion horizontale : progressivement variable de 60° à 100° :
- 60° (à + 6° dans le plan vertical)
- 70° (à 0° dans le plan vertical)
- 110° (à – 6°dans le plan vertical)
- Dispersion verticale : 12°
- Impédance nominale : 4 Ω
- Puissance AES : 260 W
- Puissance programme : 500 W
- Puissance en crête : 1 kW