Un festival numérique aux multiples facettes
Depuis 2016, la ville de Metz a décidé de sublimer, durant l’été, son patrimoine architectural par le biais d’un festival mêlant street art, installations urbaines et arts numériques. Après l’annulation de l’édition 2020 suite à la crise de la Covid-19, la cinquième édition du festival Constellations s’est déroulée autour du thème “L’eau dans l’espace, la vie ailleurs”. La programmation entend offrir un regard renouvelé sur la création numérique d’aujourd’hui et sur la richesse de ses formes. Le très attractif mapping de la Cathédrale côtoie ainsi des propositions plus originales exposées dans des espaces plus intimes.
Une programmation diversifiée
Le parcours numérique ouvre ses portes au public les jeudis, vendredis et samedis, de la tombée de la nuit à une heure du matin pendant les mois de juillet et août. Le point d’information du Festival, établi dans un bureau éphémère posé sur la placette devant l’Opéra-Théâtre, est surmonté d’un laser haute puissance blanc pointé sur un bâtiment situé 200 m plus loin, en direction de la Cathédrale. Nous en rencontrerons trois autres au gré de notre cheminement. Ces puissants faisceaux matérialisent, dans l’air, la forme du parcours, créant une signalétique directionnelle aérienne. Autre originalité visuelle, des ballons lumineux à l’effigie du Festival marquent l’entrée de chaque lieu d’exposition.
Depuis la placette, nous apercevons le Cloud, un drôle de nuage lumineux installé sur la terrasse surplombant l’entrée de l’Opéra. Une multitude de chaînettes descend du nuage, évoquant une pluie continue. Le public est invité à s’approcher de l’œuvre et à tirer sur les chaînes. Une quarantaine d’entre elles sont reliées à des interrupteurs à tirettes allumant des ampoules à l’intérieur du nuage, changeant ainsi sa composition lumineuse. Réalisé à partir de six mille ampoules domestiques usagées par les artistes canadiens Caitlind r.c. Brown et Wayne Garrett, cette œuvre au fort impact visuel, de jour comme de nuit, est à la fois immersive et poétique tout en restant très simple technologiquement.
Loin de cette démarche, l’œuvre Exo, créée par le collectif espagnol Playmodes dans le Temple Neuf, est un show son et lumière réalisé avec quinze projecteurs asservis Clay Paky Sharpy, cinq stroboscopes à LEDs Stormy du même fabricant et cinq PAR à LEDs Osram Kreios. Une machine à fumée Jem Compact Hazer Pro (Martin Professional) un brouillard dense dans tout l’édifice. La sobriété des teintes (blanche, orange et bleue) contraste avec les mouvements continuels des faisceaux serrés des Sharpy qui strient le brouillard de mouvements pendulaires ou sinusoïdaux et évoluent en symbiose avec le son, sorte de synthèse granulaire rappelant des bruits de sabres laser. Exo est sans début ni fin car les artistes l’ont développé sous forme de séquences aléatoires génératives. Une forme de vie extraterrestre semble avoir investi le Temple pour entrer en communication avec nous ; nous ne sommes pas loin d’une rencontre du troisième type, ce qui n’a pas convaincu tous les paroissiens. Le pasteur, lui, ouvre son Temple au Festival sans mettre de réserves sur les créations exposées.
Ces deux œuvres nous donnent déjà un aperçu de la diversité de la programmation du Festival, mélange de mappings vidéo, installations audiovisuelles immersives, scénographies laser, installations numériques et interactives ou encore objets lumineux atypiques, comme cette reproduction au un millionième de la planète Mars imprimée sur un ballon lumineux de 6 m de diamètre dans l’œuvre Mars de l’Anglais Luke Jerram. Certaines œuvres sont fédératrices, d’autres plus clivantes, un peu à la manière d’une exposition d’art contemporain pour un néophyte. Il faut dire que Jérémie Bellot, le commissaire artistique, est lui-même un artiste du monde numérique. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises…
Des mécaniques de précision
Non loin de là, dans le Jardin Fabert, d’étranges pales lumineuses rotatives, juchées sur des mâts de 3 à 4 m de haut, semblent scanner l’espace qui les entoure. Le studio parisien Chevalvert a créé, pour le Festival, l’installation Far Away, imaginée comme un module d’exploration interstellaire.
Ici, nous sommes dans l’épure, l’esthétique de ces fines potences noires est sans artifice, que du fonctionnel : le bras intègre une bande à LEDs polychrome sur toute sa longueur et un capteur de mouvements à son extrémité. Le moteur déporté à l’opposé assure à la fois son contrepoids et son entraînement par l’intermédiaire d’une courroie. Pour parfaire le dispositif, l’équipe technique du Festival a enterré l’ensemble des câbles. Leur lente rotation balaye l’espace d’une lumière diffuse alternant étrangement du blanc au rouge. L’effet produit est intrigant, appuyé par de longues nappes sonores diffusées depuis des enceintes disséminées dans la pénombre, ponctuées de bips émis par des tweeters placés sur chaque mât. Le public déambule sous ces sondes lumineuses en essayant de comprendre leur fonctionnement : le changement de couleur semble se produire lors de la détection d’une présence humaine à leur aplomb ; mais par moment un changement s’opère sans raison apparente. En fait, la disposition spatiale de ces “sentinelles” conduit parfois un bras à en survoler un autre et à virer au rouge. Ce lent ballet lumineux a quelque chose d’apaisant.
La Maison de la Région ouvre ses portes au public le temps du Festival. Pour cette édition, la Région a acheté au collectif Scale l’installation cinétique Flux. Une cinquantaine de bâtons lumineux intégrant de la bande à LEDs matricée est fixée par son centre à des moteurs montés sur des pieds de micros alignés dans l’allée d’un cloître. Les mouvements de balancier et de rotation synchronisée de ces pales produisent alternativement des effets d’alignements parfaits, de vagues, de croix ou de spirales, pendant que leur teinte change d’états monochromes en ondulations de couleurs. Le public s’attarde devant cette œuvre hypnotique, la contemplant de face pour apprécier la perspective ou de côté en déambulant dans le cloître. Une bande sonore constituée d’énergiques phrases percussives numériques vient épauler le tout. Cette mécanique de précision est gérée à l’aide de trois logiciels : TouchDesigner pour les moteurs, MadMapper pour la lumière et Live pour le son. Les pales ont tendance à se décaler légèrement dans le temps, gâchant quelque peu l’effet. Du coup, le technicien du site assure toutes les 30 min un rapide réalignement des axes… à l’aide d’une pige en bois. Seul bémol, les créateurs ont utilisé un Mac Mini sous-dimensionné pour gérer l’ensemble, générant parfois des bugs nécessitant un redémarrage du système.
Une des œuvres les plus marquantes du Festival est celle exposée par les artistes tchèques Petr Vacek et Adam Cigler dans l’Église des Trinitaires. À la place de l’autel de l’édifice désacralisé, dépouillé de tout mobilier, se tient un grand miroir composé de quatre-vingt-douze petits miroirs hexagonaux montés sur moteurs permettant des mouvements de quelques degrés dans toutes les directions. De prime abord, la quinzaine de sources lumineuses disséminées dans le bâtiment laisse à penser à une maladroite tentative d’éclairage architectural. Huit rampes et quelques PAR à LEDs posés au sol lèchent les murs latéraux d’une lumière aux teintes tantôt pastels, tantôt saturées. Deux petits Fresnels et deux découpes montés sur pieds finalisent le dispositif : les premiers sont orientés vers le public, les secondes pointées sur l’œuvre. Un léger tamis de fumée accentue l’atmosphère étrange régnant dans ce lieu aux murs défraîchis. Lorsque les miroirs s’actionnent, nous sommes subjugués par l’objet qui prend vie. Au gré de leurs mouvements secs, les multiples facettes nous renvoient alternativement les teintes des murs, leurs reflets voire notre propre reflet. Lorsque les découpes pointées sur l’œuvre s’allument, une multitude de faisceaux sillonne l’édifice. Cette fois, l’extraterrestre est là, devant nous ; nous sommes happés par ses mouvements saccadés, transportés par la bande son provenant elle aussi tout droit de l’espace. Reflexion est une œuvre qui ne laisse pas indifférent.
Festival et crise sanitaire
Le projet Nomad du collectif russe Tundra, reporté comme beaucoup d’autres de l’édition 2020 à l’édition 2021, a subi la crise de plein fouet. La mise en place des pass sanitaires russes et européens a empêché les artistes de venir, tout a dû se faire à distance. Présentée dans la Chapelle des Trinitaires, l’installation a fait l’objet d’une collaboration entre différentes entités messines : la Cité musicale-Metz qui gère le lieu, les services techniques qui fournissent le matériel et l’Opéra-Théâtre pour la construction de l’écran, un grand disque blanc sur lequel sont projetés les flux de trois lasers Cittadini 7,2 W et d’un vidéoprojecteur. Ces lasers de classe 4 étant en principe interdits en intérieur, une douzaine de mesures compensatoires ont été mises en place conjointement avec les pompiers du SDIS, dont la construction de volets coupe-flux, d’une barrière empêchant le public d’avancer dans le cône de projection du laser ou l’ajout d’un agent de sécurité posté près de l’arrêt d’urgence.
Après l’annulation de l’édition 2020 suite à la crise de la Covid-19, l’édition 2021 a du s’adapter au rythme des changements de réglementation. Vu les tergiversations gouvernementales du printemps, la ville de Metz a d’abord pensé annuler le Festival avant de décider tardivement de le faire en repoussant l’ouverture de dix jours. Yohann Buys, le nouveau directeur technique du Pôle culture qui nous accompagne sur le parcours, a dû, avec ses équipes, redoubler d’efforts pour finir le montage dans les temps. Dès le début du Festival, les jauges des lieux d’exposition ont été limitées à vingt, cinquante voire cent personnes et celle du mapping de la Cathédrale à huit cents personnes par séance, contre 5 250 lors de l’édition 2019. Les annonces présidentielles du 12 juillet ont imposé une refonte de la gestion sanitaire. Une quinzaine d’agents de sécurité ont dû être ajoutés pour contrôler les pass… Au final, le Festival aura attiré 600 000 personnes cette année contre 1,4 million deux ans plus tôt.
Le mapping
Le fameux mapping de la Cathédrale est un mélange de vidéo et de lumière. Habituellement, les renforts de lumière étaient montés sur des terrasses et corniches, installés par une grue et des équipes de pompiers cordistes. La potentielle annulation de cette édition a conduit l’équipe technique à faire le choix de simplifier le dispositif en équipant toutes les sources au sol. La projection vidéo est assurée depuis une tour formée de trois containers maritimes superposés, placée dans l’axe de la façade à l’autre bout de la Place. Les containers sont ajourés sur leur face avant, les baies en verre protégeant les vidéoprojecteurs sont occultées en journée par des volets roulants sécurisant le tout. À l’intérieur, une climatisation et une extraction d’air assurent le refroidissement des six vidéoprojecteurs Panasonic laser 4K 30 000 lm, couplés en dual pour assurer un backup, le tout réglé en soft edge. Le rez-de-chaussée de la tour est occupé par une régie compacte constituée d’une console Yamaha TF-Rack munie d’une carte Dante, d’une grandMA2 onPC et d’un PC remote pour le média serveur ModuloPi placé à l’étage du dessus. Un troisième PC gère la signalétique diffusée sur un écran plat accroché à l’extérieur, côté public (consignes sanitaires, horaires des séances, …). Les flux son et lumière transitent vers la Cathédrale via une fibre optique Neutrik opticalCON.
Le son est diffusé par quatre subs Adamson T21 et quatre enceintes Meyer Sound Cal32 répartis sur deux plans ; le premier est disposé sur des mâts placés de chaque côté de la façade de la Cathédrale, le second est un rappel implanté sur des petites tours au milieu de la place, de part et d’autre des spectateurs. Le niveau sonore est étonnant comparé à la discrétion du système. Comme pour la plupart des sites, l’ensemble du matériel utilisé est loué à des prestataires.
Le Festival ayant pour habitude de passer une commande de création tous les deux ans, le mapping présenté a déjà été diffusé en 2019 mais a été retravaillé pour devenir Morphosis2. Comme son nom l’indique, le show conçu par Vincent Masson et le Collectif Sin métamorphose à l’infini la façade de l’édifice… Les spectateurs qui affluent au cours des trois à cinq séances quotidiennes en prennent plein la vue.
Un concours international de mapping a été créé pour cette édition. Il est projeté sur la façade néoclassique de l’Église Saint-Clément, dans un quartier que le Festival n’avait jamais investi jusque-là. Dix artistes ont été invités à produire une séquence de deux minutes chacun.
Là encore, la tour de régie vidéo est réalisée avec deux containers empilés, ajourés sur leur face avant. À l’intérieur, deux vidéoprojecteurs Panasonic laser Full HD 20 000 lm, choisis notamment pour leur tenue en température ambiante jusqu’à 60°C, assurent la projection. Plutôt que d’effectuer un soft edge, le technicien qui a réglé les machines s’est appuyé sur la corniche qui scinde le bâtiment en son milieu pour faire un hard edge, rendant ainsi la jonction des images parfaite.
Les séquences aux esthétiques variées (utilisation des ornementations architecturales, formes géométriques basiques, nuages de points, …) sont diffusées, comme sur la Cathédrale, par un média serveur ModuloPi. La diffusion sonore est assurée via deux tours placées de part et d’autre de la façade, sortes de monolithes noirs brillants, sobrement estampillées du logo du Festival. Une enceinte Nexo PS15 et un sub LS18 sont dissimulés à l’intérieur de chacune d’elles, leur face avant a été micro perforée pour laisser passer le son. Le niveau sonore reste raisonnable afin d’éviter la gêne du voisinage.
Au final, deux prix ont été décernés : un par le public convié, à voter par QR code, a récompensé les Français d’Immersiv Element pour Sérendipité, l’autre par le jury pour l’équatorien Felix Frank avec 639Hz.
Anecdote révélatrice, cet événement a été renommé “Ici et ailleurs” pour éviter l’usage du mot mapping par crainte de subir une trop grosse affluence en cas d’annulation des projections sur la Cathédrale pour raisons sanitaires.
Il faut bien l’avouer, le mapping de la Cathédrale génère une affluence sans commune mesure avec la fréquentation des autres sites. Mais, si beaucoup de néophytes ne voient que cet événement phare, d’autres s’attardent dans les rues de Metz et découvrent des œuvres plus insolites qui leur donnent un aperçu de la large palette qu’offrent les arts numériques. En cela, le festival Constellations réussit à concilier l’aspect populaire d’un grand événement et l’exigence d’une programmation pointue. Les spectateurs curieux auront compris, au passage, que la conception d’une œuvre numérique n’est pas conditionnée à l’utilisation de vidéoprojecteurs.
Générique
- Direction artistique
- Jérémie Bellot, commissaire du parcours Pierres Numériques
- Myriam Idir, commissaire du parcours Street Art
- Dorothée Rachula, commissaire du parcours Art & Jardin
- Production & technique
- Pôle culture de la Ville de Metz
- Direction technique du Festival : Yohann Buys