Direction technique “écoresponsable”
Les Nantais de Zébulon Régie abordent la direction technique et la régie générale sous l’angle de la responsabilité environnementale et sociale des organisations. L’entreprise accompagne événements et établissements culturels dans leurs transitions écologiques et solidaires, aussi bien en proposant des prestations “concrètes” (économies d’énergie, transports “doux” de matériel, scénographie et aménagements conçus selon les principes de l’économie circulaire, …) qu’en formant les acteurs à des pratiques vertueuses. Le tout en révélant les importants leviers dont disposent les managers techniques pour contribuer à faire évoluer le secteur culturel vers davantage d’écoresponsabilité.
Comment mieux impliquer les directions techniques et les régies générales dans les politiques et actions de “développement durable” et de RSE (Responsabilité sociale et environnementale) portées par les organisations du secteur de la Culture et de l’événementiel ? C’est l’une des questions qui a sous-tendu la création de Zébulon Régie, une entreprise fondée à Nantes en 2015 par Samuel Brouillet, musicien professionnel devenu directeur technique et régisseur.
Lier technique et production
Études (consommation électrique, budget, étude de la réglementation), préparation d’événements (conception de plan d’implantation, recrutement d’équipes techniques, réalisation de dossiers administratifs, techniques et sécurité), aménagement et régie de sites, fourniture de matériel, gestion de plateau, … l’entreprise dispose d’un catalogue de prestations de direction et régie technique “classiques” mais toujours en proposant à ses clients une approche “écoresponsable” des différentes tâches à effectuer. Mieux, elle peut accompagner festivals, manifestations et établissements culturels dans la mise en place de solutions techniques concrètes leur permettant de mieux gérer leurs impacts environnementaux mais aussi sociaux. Cela vaut aujourd’hui à Zébulon Régie d’être la seule entreprise de direction technique labellisée “Prestadd”, un label destiné à valoriser les bonnes pratiques environnementales et sociales des structures du spectacle et de l’événementiel.
Un succès construit par Samuel Brouillet et ses collaborateurs en se basant sur plusieurs constats et observations : “Je me suis aperçu qu’un fossé s’était creusé entre production, porteurs de projets et directions techniques. Directions techniques qui peuvent parfois être considérées comme un frein dans la mise en place de pratiques écoresponsables. Mais il faut aussi noter que les responsables de productions n’impliquent pas toujours suffisamment les régisseurs généraux dès le départ dans leurs approches. Or, cela peut aboutir à des propositions refusées par la direction technique car non-conformes aux normes en vigueur ou aux budgets. Et cela génère de la frustration”. D’où l’importance d’intégrer l’ensemble des parties prenantes le plus en amont possible.
Nombreux leviers d’action
D’autant que la direction technique peut avoir un impact fort et concret en matière de RSE. Notamment parce qu’elle coordonne l’aménagement et l’organisation de sites et de lieux en déployant des moyens matériels pouvant être importants. “Un festival qui accueille 15 000 personnes pendant quelques jours dans un champ est une petite ville éphémère. Cela peut nécessiter deux semaines de montage. Nous nous concentrons beaucoup sur l’impact des publics, ce qui est le plus visible. Mais ne se focaliser que sur la production d’un projet sans se préoccuper de la maîtrise d’œuvre, c’est un peu comme élaborer un bâtiment HQE sans s’intéresser à la façon dont il est construit”, compare Samuel Brouillet.
Zébulon Régie s’appuie sur un ensemble de leviers techniques pour accompagner les organisations dans leur dynamique de changement. L’entreprise propose notamment d’améliorer l’efficacité énergétique des événements et des lieux. Elle commence par réaliser un audit afin d’identifier les principaux postes de dépense d’électricité. “Nous effectuons des mesures durant la totalité de l’événement. Les données sont transférées sur un ordinateur. Un ensemble de courbes nous permet de déterminer les amplitudes de consommation en fonction d’une plage horaire”, explique Samuel Brouillet. Zébulon peut ensuite faire des préconisations. “Si par exemple des lumières consomment au maximum 70 000 W alors que le dimensionnement électrique est de 100 000 W, nous avons des marges disponibles pour faire des économies. Il faut arrêter de raisonner en termes de standard.” La société nantaise a ainsi permis de réduire de façon importante les factures de certains de ses clients. Citons, par exemple, le cas de L’Autre Marché, marché de Noël éthique organisé chaque année à Nantes par Les Ecossolies, association ayant pour mission de promouvoir l’économie sociale et solidaire dans la métropole nantaise. “L’équipe de Zébulon Régie a réalisé un audit en 2019. Avant, nous estimions un peu à l’aveugle les puissances nécessaires pour chaque exposant. Zébulon intervient pour conseiller les exposants et les aiguiller vers des solutions moins consommatrices. Nos consommations électriques ont baissé de 50 % entre 2017 et 2020”, témoigne Gaëlle Bottin, responsable des événements portés par les Ecossolies. Et ce sans que le nombre de stands n’ait diminué.

Zébulon Régie a mis en place du transport de matériel technique à vélo dans le cadre de l’édition 2019 de Débord de Loire (estuaire de la Loire) – Photos © Antoine Violleau
Toujours en Loire-Atlantique, Samuel Brouillet et sa bande épaulent le festival de rock indépendant l’Ère de Rien, à Rezé, depuis six éditions. Un événement qui accueille désormais quelque 4 500 personnes sur un week-end au printemps. “Le Festival a vite pris de l’ampleur et nous n’avons pas les ressources en interne pour gérer un événement de cette dimension. Il nous fallait une véritable expertise technique pour le montage et le démontage afin de garantir la sécurité des installations”, explique Juliette Bretéché, co-fondatrice de l’Ère de Rien. “Puis, il y a le côté écoresponsable auquel nous sommes sensibles. Cet aspect a toujours donné lieu à des discussions ouvertes avec Zébulon Régie. Nous avons essayé de trouver ensemble des solutions concrètes. Nous sommes notamment parvenus à ne jamais utiliser de groupes électrogènes. Nous sommes restés branchés au réseau de la Ville tout en grossissant et cela fonctionne.” Là encore, Zébulon propose de mieux ajuster puissance et consommation mais travaille aussi avec les techniciens sur des choix de matériel.
Nous l’aurons compris, Samuel Brouillet plaide pour l’adaptation et le cas par cas : “De façon générale, le développement durable nous oblige à remettre l’intelligence humaine au cœur des dispositifs et à contextualiser les choses. Un système son ne va pas consommer la même chose si nous programmons un concert de cool jazz ou d’électro hardtek très énergivore”. Cet expert de la sobriété traque les moindres fuites dans les réseaux : “En plein air, nous avons souvent tendance à laisser les amplis et les consoles allumés de la fin du montage jusqu’au démontage. Ils peuvent fonctionner durant trois jours alors qu’ils ne sont en réalité utilisés que huit heures par jour. Cela peut représenter une importante consommation de carburant pour un groupe électrogène”.
Scénographie circulaire
Mais l’électricité n’est pas le seul terrain d’intervention de Zébulon. “Les transports représentent l’un des principaux impacts carbone des événements. Mais je ne suis jamais décisionnaire en ce qui concerne la venue et le départ des publics. Cependant, aménager un parking à vélo ou favoriser les mobilités douces sur un site, nous savons faire”, indique Samuel Brouillet. Zébulon peut aussi préconiser des actions en lien avec le transport du matériel ou de certaines fournitures. En 2019, l’entreprise a ainsi travaillé avec le festival Debord de Loire, événement nautique et artistique qui a lieu tous les trois ans dans l’estuaire de la Loire. Afin de limiter le recours à l’utilisation de camions, une partie du matériel de sonorisation a été transportée dans des remorques tractées par des vélos et pouvant contenir jusqu’à 350 kgs.
Mais la question des transports peut également passer par le choix des prestataires et par une politique d’achat “responsable”. “Devons-nous toujours signer le devis le moins cher ?”, s’interroge Samuel Brouillet. “Un festival breton qui fait appel à un prestataire de sonorisation basé à Paris pour gagner 100 € sur une enveloppe de 10 000 € n’a pas pris en compte l’impact du transport.”
Zébulon Régie peut aussi aider les organisateurs d’événements dans la gestion de leurs déchets. “Outre les poubelles de tri, nous utilisons de la vaisselle lavable ou compostable. Nous récupérons les déchets organiques issus de la restauration et des toilettes sèches pour les valoriser en compost. C’est Zébulon qui coordonne tout cela”, témoigne Gaëlle Bottin des Ecossolies. L’entreprise s’appuie sur un solide et dense réseau de partenaires vers lesquels elle peut orienter ses clients. “Ils nous ont, par exemple, encouragés à recourir à des matériaux récupérés pour concevoir notre scénographie. Ils nous ont dirigés vers Moins mais Mieux, une structure qui réutilise du bois pour créer du mobilier ou des enseignes”, complète-t-elle. Moins mais Mieux a réalisé l’enseigne et le totem informatif de l’Autre Marché, le tout avec des éléments issus d’une déconstruction et les chutes d’une entreprise d’insertion.
Mais Zébulon est également apprécié pour ses conseils techniques “classiques” permettant notamment aux festivals avec lesquels il travaille de sélectionner au mieux matériels et surtout matériaux. L’Ère de Rien conçoit, lui aussi, une partie de sa scénographie selon les principes de l’économie circulaire, notamment en s’approvisionnant auprès de la ressourcerie locale de matériaux basée à Rezé, Stations Services, pour créer du mobilier. “Avec Zébulon, nous disposons d’une expertise en termes de résistance des matériaux au feu ou encore de normes d’accueil des festivaliers. Travailler avec eux nous permet d’intégrer ces dimensions dès le départ mais aussi de s’adapter, au fil de l’eau, dans le cadre d’échanges réguliers”, éclaire Juliette Bretéché, conseillère municipale.

Zébulon Régie a mis en place du transport de matériel technique à vélo dans le cadre de l’édition 2019 de Débord de Loire (estuaire de la Loire) – Photos © Antoine Violleau
Formation et R&D
Si Samuel Brouillet et ses acolytes font dans l’opérationnel, ils sont aussi attentifs à l’appropriation des principes de la RSE par leurs confrères directeurs techniques et régisseurs. Le but étant de les rendre le plus autonome possible afin qu’ils puissent ensuite faire eux-mêmes et inventer leurs propres manières d’agir en fonction des situations et des problématiques qu’ils rencontrent dans leur quotidien de managers.
Zébulon Régie a donc construit une formation intitulée “Vers une approche écoresponsable de la direction technique” qui fait aujourd’hui référence en France en matière de management responsable des équipes techniques. Cela représente quatorze heures de cours interactifs, dispensées en deux jours et pouvant être prises en charge par l’AFDAS. “Il s’agit d’abord d’aider les cadres techniques à se pencher sur leurs propres événements : où en sont-ils en matière d’écoresponsabilité ? Puis l’objectif est de partager avec eux du contenu en leur présentant des actions que nous avons pu expérimenter et de leur exposer une méthodologie dont le but est de les amener à réduire les impacts environnementaux et sociaux de leurs activités, selon une logique d’amélioration continue”, commente Samuel Brouillet.
Car, ne l’oublions pas, ce volet social constitue l’un des trois piliers du développement durable. C’est également l’un des principaux moyens d’action des responsables techniques, ces derniers étant en mesure d’intervenir sur des sujets aussi divers que l’embauche de collaborateurs, leur niveau de rémunération, leur encadrement, la rédaction des fiches de postes, la formation des équipes, en passant bien sûr par la santé et la sécurité au travail. Des problématiques d’autant plus importantes que, comme le rappelle Samuel Brouillet, “cet aspect social fait souvent défaut dans l’environnement de la Culture. Des idées fausses comme d’affirmer que tout le monde serait capable de conduire un chariot élévateur ou de sonoriser un groupe circulent encore”.
Devenue experte sur les questions d’impact environnemental et social dans les techniques du spectacle vivant, Zébulon Régie s’est donnée pour mission de faire avancer ces questions en s’investissant dans des actions de recherche et développement. L’entreprise a même recruté une personne à temps complet pour œuvrer sur la mise en place de nouvelles stratégies et actions en ce sens. Fin 2019, l’entreprise a pu créer une méthode de calcul de bilan carbone spécifiquement dédiée aux champs techniques. Un outil d’analyse inédit qu’elle a commencé à utiliser pour évaluer les émissions de CO2 de quatre événements. Souvent qualifiés de “travailleurs de l’ombre”, les techniciens vont pouvoir davantage mettre en lumière la production de gaz à effet de serre liée à leurs champs d’intervention. Pour espérer ensuite mieux les maîtriser.