Le Théâtre du Châtelet

Un nouveau souffle

Toutes les photos sont de © Patrice Morel

Depuis 2016, la Place du Châtelet s’est endormie. La mairie de Paris rénove son patrimoine : le Théâtre de la Ville et le Théâtre du Châtelet de chaque côté de la place sont entrés dans un vaste programme de rénovation, réhabilitation et restauration. Le Théâtre du Châtelet est le premier à rouvrir ses portes après deux ans et demi de travaux. Il retrouve son état d’origine en mieux, une réhabilitation dans le respect du lieu et une approche par le détail, mis aux normes, modernisé, restauré, accessible et techniquement plus élaboré. Quelle impression ? Retrouver le même lieu familier en mieux. Le Théâtre est plus clair, aéré et, enfin, l’espace respire.

Un nouveau chantier

Terrasse Nijinski, retour des sculptures allégoriques

Terrasse Nijinski, retour des sculptures allégoriques

À la demande du Baron Haussmann, l’architecte Gabriel Davioud construit à l’emplacement de l’ancienne forteresse du Grand Châtelet le Théâtre impérial du Châtelet qui sera inauguré le 19 avril 1862. Depuis, Le Châtelet a connu différentes époques de restauration : 1898, 1928, 1978/1980, date à laquelle la Ville a repris la gestion du Théâtre qui était jusqu’alors privé, 1988/1989 avec une première réfection des réseaux puis 1998/1999 où la cage de scène a été rénovée. L’ensemble du bâtiment est aujourd’hui inscrit aux Monuments Historiques, extérieur et intérieur.

Le point de départ pour ce lancement des travaux a été un constat alarmant sur la vétusté des réseaux et surtout l’électricité qui devenait dangereuse avec quelques départs de feu ! La durée de vie des réseaux n’étant que de vingt ans. D’autre part, les besoins de rénovation patrimoniaux étaient aussi importants puisque des filets installés sur la façade tenaient les corniches qui risquaient de tomber. La mise aux normes des réseaux électriques, des éclairages et du système de sécurité incendie ainsi que la rénovation complète de la ventilation, du chauffage et de la climatisation étaient prioritaires. La partie patrimoniale, façade, toiture, grandes salles et espaces publics avaient été altérés et même défigurés à cause des restaurations successives. À ceci s’ajoutait l’usure du temps sur le bâti surtout à cause de la pollution parisienne.

Un appel d’offres a été lancé et sur la base d’une note méthodologique, une composition d’équipe et une proposition de budget, Philippe Pumain, architecte, et Christian Laporte, architecte du patrimoine, en collaboration avec Thierry Guignard pour la scénographie ont été désignés maîtres d’œuvre. La phase des études a commencé par un diagnostic du bâtiment.

Plus de la moitié du budget a été consacrée à la rénovation des réseaux techniques. Un quart du budget a été utilisé pour la réfection de la cage de scène puisque les travaux et la fermeture du Châtelet ont été l’occasion de revoir les équipements scéniques en remplaçant la motorisation de la cage de scène ainsi que les réseaux électriques scénographiques, éclairage, sonorisation et vidéo. Le dernier quart du budget a été consacré à la rénovation du bâti, en commençant par des parties de la toiture avec des points singuliers comme les chéneaux et lanterneaux. Mais le ravalement partiel est devenu un ravalement complet à cause de la présence du plomb et l’obligation de tout nettoyer avant toute intervention. Une nouvelle technique qui consistait à utiliser une compresse de latex a simplifié le chantier. Le déplombage a été le sujet principal, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du bâtiment où les peintures contenaient souvent du plomb. Les vitrages ont été changés pour un meilleur isolement thermique. Les lampadaires urbains ont été refaits d’après dessin pour être installés dans la loggia Joséphine Becker qui, à l’origine, était ouverte.

L’intervention sur le bâti comprenait aussi la reconstruction des quatre statues allégoriques de la façade qui avaient disparues mystérieusement. Refaites également d’après les dessins (la musique, le drame, la danse, la comédie), elles sont installées sur la balustrade de la terrasse du foyer Nijinski, où l’on peut jouir d’une des plus belles vues de Paris. Une tablette est installée devant le garde-corps pour poser les verres. Ce foyer se transforme en boîte de nuit après les représentations avec un accès spécifique, selon un contrat de trois ans.

Deux nouveaux studios de répétition superposés (Cole Porter au rez-de-chaussée et le studio Anna Pavlova au – 2) ont été rénovés avec un plancher en double lambourdage en chêne huilé, résine technique au plafond et miroir.

Une rationalisation des espaces

À commencer par le sas d’entrée, le péristyle devient bien plus accueillant en retrouvant une lisibilité volumétrique et une plus grande clarté. Le hall d’accueil reprend une nouvelle vie et devient visible. L’accès PMR a aussi été facilité.

Les deux escaliers métalliques installés de chaque côté du sas ont été supprimés. Ils n’étaient pas d’origine et avaient été rajoutés comme sortie de secours du foyer Nijinski. Mais entre-temps, d’autres circulations verticales intérieures avaient été créées rendant ces deux escaliers métalliques obsolètes, coupés en 1979, entre la galerie ouverte et la terrasse. Mais dans la mesure où ils avaient été conçus selon le “système Chalet”, ils représentaient un témoignage de ce mode de construction. La DRAC a donné son accord pour la dépose à condition qu’ils soient utilisés dans un autre lieu. L’escalier a été démonté méthodiquement et tous les éléments sont répertoriés très précisément pour un montage facilité. Le CENTQUATRE va finalement les reprendre et les utiliser comme escalier de secours. Grâce à cette suppression, la Galerie Joséphine Baker et le péristyle d’entrée ont retrouvé leur taille d’origine, permettant un gain de place dans la galerie.

Les meubles d’accueil du hall ont été redessinés, gagnés en linéaire ainsi que la banque du vestiaire. La signalétique a été refaite en laiton et en bois sombre. Mais surtout, vingt sanitaires de plus pour les dames ont été aménagés grâce à la récupération des locaux de police transférés dans les bâtiments de la Préfecture.

À la recherche des décors d’origine

Nous étions face à une cinquantaine d’années d’accumulation d’éléments de sécurité mais aussi une superposition de décoration. Nous avons effectué des sondages pour voir si en dessous de ces différentes couches nous pouvions trouver le décor d’origine”, décrit Philippe Pumain. “Ces recherches dans la salle, du grand foyer et de la Galerie Joséphine Baker, du foyer et de la terrasse Nijinski ont été une démarche qui nous a menés à de belles découvertes, voire spectaculaires.” L’avant-foyer et les escaliers nobles avaient été recouverts de couches successives de peintures et de vernis industriels lors des restaurations précédentes. Le décor d’origine était de grande qualité, une peinture à l’huile et cirée représentant du faux marbre, dans le style néo-pompier. Dans le balcon de l’avant-foyer, un vestibule d’étage où tout le décor est visible, le faux marbre a été récupéré et rénové. Les cinq oculi donnant sur la galerie voisine ont aussi été ouverts.

Le sol est recouvert d’une moquette posée depuis la fin du XIXe sur un carrelage esthétiquement peu intéressant. Le mur extérieur de la salle, qui date de 1980 lorsque la salle avait été agrandie pour gagner des places, est resté sans décorum. “Par contre, dans le grand foyer, nous n’avons pas retrouvé le décor d’origine. Nous avons étudié les photos et les dessins de Davioud. Les documents n’étant qu’en noir et blanc, nous nous sommes inspirés des couleurs du plafond. C’est ainsi que nous avons recréé ce papier peint dans un style néo-renaissance, entièrement redessiné et imprimé.”

La salle retrouve un nouvel éclat

La salle est plus lumineuse. L’intervention y a été aussi par petite touche. Les sièges été déposés, dépoussiérés et reposés. Par contre, les 500 sièges de l’amphithéâtre en fin de vie ont été changés.

Les décors de la salle ont été dégagés et dévernis, redorés, soit par la peinture dorée ou par la feuille d’or. Ces brillances différentes de la salle correspondaient à la volonté de Davioud. “L’analyse stratigraphique a permis de dissocier les éléments qui, à l’époque, avaient été dorés à la feuille d’or de ceux qui ne l’étaient pas afin de retrouver les contrastes d’origine. Nous avons repeint les parties en rouge mais dans une teinte plus lumineuse. Surtout, nous avons supprimé la couleur acajou des corbeilles.” Comme l’amphithéâtre de couleur noire a été repeint en rouge. Les plates-formes scéniques destinées aux projecteurs et équipements pour la régie qui la coupaient en deux ont été supprimées, créant cinquante-et-une places supplémentaires avec une parfaite visibilité. À la place, deux plates-formes discrètes en fond d’amphithéâtre ont été rajoutées, ainsi que deux lisses scénographiques en salle.

Vue générale sur la grande scène

Vue générale sur la grande scène

En 1980, le cadre de scène avait été reculé de 4 m pour créer une fosse d’orchestre. C’est ainsi que la salle s’était retrouvée avec deux cadres, le deuxième ayant été fait sur le modèle historique. Une structure arrondie créait la liaison entre les deux cadres et améliorait l’acoustique. Peinte en marron, elle a été habillée avec des moulages de balcon, comme si c’était des loges d’avant-scène murées. “Ce qui d’un point de vue historique n’avait pas de sens et pas de cohérence architecturale. J’ai alors proposé de refaire le décor. Pour le nouveau décor, nous nous sommes  inspirés des motifs de style Napoléon III. Il permet d’habiller ce cadre et d’avoir une continuité avec la salle, plus fluide et naturel dans cet enchaînement de cadre, comme si le premier cadre avait été étiré.” Deux liaisons entre le plateau et la salle ont été créées. En fond de parterre, la loge des retardataires a été aménagée.

La verrière de la salle avait été obstruée par des plaques de plâtre peintes en noir lors de l’arrivée de l’électricité puisque le plafond d’origine était éclairé par des becs de gaz situés au-dessus de la verrière. C’est en 1898 avec l’arrivée de l’électricité que le lustre de la salle est installé. Aujourd’hui, la verrière retrouve son état d’origine, un plafond lumineux avec une possibilité de rétroéclairage. La LED pour le plafond ainsi que pour le lustre permet des intensités et des couleurs différentes, et cette variation d’éclairage permet des jeux scénographiques. Le lustre est sur moteur, ce qui facilite sa descente pour la maintenance.

La scénographie a été un grand chantier avec le remplacement du système de pilotage informatique du cintre et la réfection de l’ensemble des réseaux scénographiques. Les régies ont été complètement refaites et une régie en salle a été aménagée.

Nouvelles image & ligne politique

Les différentes salles ont été renommées : la Galerie Adami devient la Galerie Joséphine Baker. Le Salon des Glaces prend le nom de Juliette Gréco, le Salon Wagner devient Nadia et Lili Boulanger, le Studio A renommé Studio Cole Porter et le Studio B appelé le Studio Anna Pavlova.

Les deux nouveaux directeurs, Thomas Lauriot dit Prévost et Ruth Mackenzie, souhaitent ouvrir davantage le Théâtre à un nouveau public. La programmation veut témoigner de cette diversité et aujourd’hui le lieu est en mesure de recevoir les productions les plus audacieuses. Dans le cadre d’un partenariat avec Sciences Po Paris, une réflexion a été lancée sur la démocratisation de ce Théâtre subventionné avec des questionnaires auprès des Parisiens. Une politique tarifaire a aussi été mise en place facilitant l’accès aux jeunes à de très bonnes places. Et les soirs de représentation, ils étaient nombreux les jeunes à l’orchestre à des places à dix euros à côté des places à quatre-vingt-sept euros !

Coupe longitudinale - Document @ Pumain

Coupe longitudinale – Document @ Pumain

Générique

  • Maîtrise d’ouvrage : Ville de Paris – DAC
  • AMO : Artelia Bâtiment et Industrie, Artsceno
  • Maîtrise d’œuvre : Philippe Pumain, architecte mandataire associé avec Christian Laporte, architecte du patrimoine
  • BET TCE : Betom
  • Scénographie : Thierry Guignard
    Acoustique : AVA
  • Signalétique : Felix Müller
  • Conservation/restauration des décors : Cartel Collections
  • Surface de plancher : 14 200 m2
  • Année de réalisation : 2016-2019

Galerie photos

 

 

 

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