Si l’on avait à définir Alexia Crisp-Jones, elle qui dessine sa licorne multicolore motivée et toujours à l’heure (son autoportrait ?), on l’appellerait fantaisie chic et excentrique. Un rire naturel, franc et éclatant ponctue l’heure de conversation joyeuse autour de son métier de costumière que l’on connaît au fond si peu. Moitié anglaise, moitié française, tout en elle est combinaison précieuse. Baroque mais pas fantasque, lyrique et farfelue, elle affiche un parcours qui laisse rêveur. Et ses réalisations sont à son image. Toutes en légèreté, exaltées et poétiques.
Casse-Noisette et crinoline
Alexia Crisp-Jones : J’ai de la chance d’avoir des parents ouverts aux arts. Je pense que ça aide. Même si je ne crois pas que ce soit clivant d’avoir ou non des parents ouverts à cela. À l’âge de cinq ans, nous habitions Birmingham, mes parents m’emmenèrent voir Casse-Noisette et je fus éblouie par les costumes.
Je suis petite et j’ai ce choc, je me souviens de cette maman souris avec une crinoline. Des petites souris sortent de sous cette robe et je me dit : “Whaou, qu’est-ce que c’est que ce truc !”. C’est aussi ça l’origine du désir dans les métiers de la création. Quand on n’a pas une maman costumière, on ne sait pas nécessairement quel est ce métier. En Angleterre où j’ai grandi jusqu’à l’âge de huit ans, il y a beaucoup de spectacles à gros effets. Il y a une culture du divertissement, de très grands costumiers. Nous n’avons pas du tout la même histoire culturelle en France. Le divertissement pour les Anglais n’existe pas sans costumes, de la petite école au monde professionnel.
Études classiques
Alexia Crisp-Jones : J’ai entrepris des études extrêmement classiques jusqu’au Bac. Même sur-classique : terminale littéraire, option latin-grec. Je savais simplement que je voulais faire du dessin. Puis je suis partie à Paris où j’ai suivi une prépa à l’École d’art Maryse Eloi. Deux années de mise à niveau, tout ce qu’il y a de plus classique, modèle vivant, dessin, … Les années suivantes me conduisent à devenir graphiste où il y a, selon moi, trop d’ordinateurs, d’infographie, pas assez de matière. J’ai ensuite enchaîné sur deux années de stylisme au Studio Berçot. Ici il m’a manqué quelque chose d’essentiel : le rapport au texte.
J’aime beaucoup les vêtements, la fantaisie, mais il me manque la vision d’un metteur en scène. Si j’avais étudié la peinture, j’aurais sans doute été illustratrice. Structurer le sens à partir d’une narration, voilà. J’aime la notion d’art appliqué. Je m’applique à raconter le sens d’un personnage à travers la vision d’un metteur en scène ou d’un réalisateur. Mon art se résume à cela. Le monde de la mode, si beau soit-il – car il crée des splendeurs – m’apprend énormément mais ne me nourrit pas suffisamment.
J’ai présenté le DMA (Diplôme des métiers d’art) option costumier/réalisateur, à Paris. Encore deux années démentes. Assez formelles après la mode. À la suite de ces quatre années (prépa et style), j’ai appris l’artisanat, à faire du corset du XVIIe, du tailleur, … Des trucs bien classiques et en même temps beaucoup d’art appliqué. J’ai travaillé dans des ateliers. Désormais, le métier est devenu très large. À la fin de cela, je me suis un peu perdue car je n’avais pas la rigueur suffisante pour travailler dans un atelier. J’étais hyper manuelle et j’adorais mettre la main dans le pot de peinture mais piquer machine à 0,5 – car c’est ainsi que l’on pique en tailleur – c’était trop compliqué pour moi, j‘étais nulle [rires] ! Ces années ont été géniales et je réalise qu’en France nous avons la chance d’avoir des formations publiques et accessibles de ce niveau. J’ai une formation très complète et avoir été façonnée par des formations académiques me sert chaque jour dans mon travail. Trouver son style, c’est faire pour défaire. Quand on sait comment on métamorphose les choses, on est libre de choisir.
Les belles rencontres
Alexia Crisp-Jones : Je forge ma personnalité avec tout cela. Remarquer des créateurs excentriques et plus simplement des choses qui sont belles et d’autres qui le sont moins. Mes études passées, je ne suis pas frustrée de commencer à travailler. Six ans, c’est déjà pas mal. J’ai un panel suffisant pour être solide. Cela me permet d’être à l’aise avec mes interlocuteurs. Je ne suis pas très timide mais ma formation m’aide à avoir confiance. Nous travaillons dans des milieux ou l’accès se fait par la rencontre. Les rencontres au théâtre et au cinéma, c’est du ressenti. À partir de là, j’ai la bonne étoile. Il m’arrive souvent d’intervenir dans mon ancienne école de DMA et j’essaie de conseiller au mieux les étudiants. Quand tu as vingt-trois ans, tout te paraît normal. C’était il y a treize ans. Je reçois mon premier scénario par la poste. Je suis bouleversée et émue. Je me souviens avoir été très touchée par ce roman (Le scaphandre et le papillon) quand j’étais en troisième. J’arrive sur ce plateau de cinéma et je me retrouve souvent seule. La costumière est souvent à l’arrière (c’est ainsi que l’on nomme la loge dans le jargon du cinéma) pour préparer la journée. Je suis seule sur le plateau et je prie pour que personne ne remarque ce qu’il se passe, j’ai l’insupportable sentiment d’être dans l’imposture [rires] ! À ce moment je rencontre Mathieu Amalric qui deviendra mon papa du cinéma. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus et, trois ans plus tard, il me propose de créer les costumes de son film Tournée où je suis nommée aux Césars.
Théâtre vscinéma
Alexia Crisp-Jones : J’ai réalisé deux ou trois pièces avec une amie, mais en dilettante. J’aime la liberté et le vertige que procure le théâtre. J’aime la folie du théâtre et l’efficacité du cinéma. Ce n’est pas du tout le même travail. Au théâtre, on est créateur. Au cinéma, on est chef costumier ou créateur. Chef costumier, c’est lorsqu’on travaille le costume contemporain. Il y a très peu de créateurs et de gens qui dessinent des maquettes au cinéma, c’est extrêmement rare. Mon arrivée dans le théâtre c’est Anna, dans la mise en scène d’Emmanuel Daumas. C’est Élodie Demey, directrice de casting, qui organise le lien avec Emmanuel Daumas et Cécile de France. C’est drôle parce que lorsque je travaille dans le théâtre, je sens que le graal pour les gens c’est de faire du cinéma et, pour moi, le graal c’est le théâtre ! Je rencontre Emmanuel, on s’entend très bien et j’ai réalisé les costumes d’Annadans le même esprit que les costumes de Tournée. Au théâtre comme au cinéma, je savoure ma première lecture que ce soit un texte ou un scénario. Je suis très concrète. Si un scénario se passe au bord de la mer, j’ai tout de suite envie de ressentir s’il y a du vent, et s’il y en a, quelles sont les matières. C’est très organique les tournages en extérieur. Au théâtre, les images me viennent tout de suite et s’ajustent lors de la rencontre avec le metteur en scène. Les discussions confirment ou non mes intuitions.
Un langage commun
Alexia Crisp-Jones : Je dessine beaucoup lorsqu’il s’agit de création. En revanche, quand il s’agit de costumes contemporains, je cherche des documents, photos, styles, carnets de tendances, … En réalité, je m’assure que nous parlons la même langue. Parler de vêtement prête à confusion. C’est toujours plus facile de parler de vêtement avec d’autres femmes parce que c’est une préoccupation liée à notre éducation. Lorsque nous travaillons avec des hommes il est parfois plus difficile de se faire comprendre. Par exemple, tu parles d’un polo et l’autre entend chemise. Je passe donc beaucoup de temps à travers les dessins et la documentation à m’assurer que nous parlions le même langage. En ce moment, je travaille sur un nouveau film qui raconte une histoire d’amour dans la “jungle” de Calais. Je recherche des documents pour coller à la réalité. À partir de ça, nous pourrons avancer. Je suis quelqu’un d’assez lyrique donc ce support m’est utile aussi pour ne pas me laisser emporter.
Accessoires, coiffure, …
Alexia Crisp-Jones : C’est ce que j’aime aussi dans le théâtre. Dans la rue, qui est pour moi le lieu de documentation suprême, je vois toujours des femmes parées de make-up, bijoux, coiffure. Dans une grande ville comme Paris, je vois des coiffures insensées. Je trouve que c’est un peu court de créer sans ces outils. Par ailleurs, je remarque que la construction des personnages stylés aide aussi beaucoup les acteurs. Je travaille avec une jeune femme à l’opéra, Judith Scotto, qui est absolument démente dans son approche du cheveu. Et je dois dire que l’éternel coiffé/décoiffé, no make-up au cinéma, me paraît parfois un peu triste. Si l’on ouvre les yeux, il y a un pourcentage énorme de personnes qui ont un rituel de beauté pour commencer leur journée. J’aime quand les choses sont chargées, excentriques, je n’aime pas la vulgarité ou le burlesque. C’est un positionnement compliqué mais je pense que le passage par le monde de la mode m’a beaucoup appris à cet endroit. Je ne suis pas une costumière “less is more”, c’est certain. Et dans ce style, je pense qu’il faut faire confiance à l’équipe pour réguler, affiner, … Cela permet d’être libre et créatif dans les propositions.
Matières et couleurs
Alexia Crisp-Jones : Tout commence toujours par là. J’aime les matières naturelles, les lins, les déclinaisons de soie (mousselines, draps, …), les cotons. J’ai toujours eu l’amour des matières et des couleurs. J’ai compris la coupe beaucoup plus tardivement. Les matières naturelles autorisent la teinture. J’expérimente beaucoup cela en ce moment. Assez peu de patine, plutôt de la peinture et des teintures. Je découvre en ce moment les teintures naturelles et je trouve formidable tout ce que la nature nous offre comme possibilités. Il y a des tissus teints avec des plantes guérisseuses. C’est complètement fou.