La scénographie à plusieurs échelles
Au début, Cerise Guyon désirait devenir styliste. Après un Bac d’arts appliqués, elle tenta une école de costumes mais commença des études de sociologie puis deux années d’architecture en BTS de design d’espace à Olivier de Serres et une année en études théâtrales à Paris 3 où elle a acquis une base littéraire théâtrale. Son objectif était de passer le concours de l’ENSATT qu’elle intégra en 2010. “Trois très belles années où nous avons appris notre métier à côté des autres corps de métier. Ainsi, dans le monde professionnel, nous comprenons tout de suite comment les autres fonctionnent. L’enseignement technique avec la sculpture, la menuiserie, la peinture pour quelqu’un de manuelle comme moi convenait tout à fait.” Elle profita des ateliers d’Alain Françon, Guillaume Vincent, Anne Alvaro et Philippe Delaigue pour son spectacle de sortie en 2013.
Attirée par l’art de la marionnette – elle est nantaise et a grandi avec Royal Deluxe – elle choisit ce sujet pour son mémoire. Elle effectua des stages où elle apprit la construction et la fabrication des marionnettes. Elle rencontra ainsi Bérangère Vantusso de la Compagnie trois-six-trenteet la constructrice des marionnettes de la Compagnie Einat Landais qui lui a transmis son savoir-faire pour les marionnettes hyperréalistes. Aujourd’hui, elle crée ses scénographies. “La scénographie pour les marionnettes est un va-et-vient entre le plateau et les répétitions. L’échelle est différente même si on peut travailler sur des grands formats.” Les portes du monde de la marionnette lui ont été ouvertes. Elle aime le rapport ludique qu’entretiennent les marionnettistes avec les objets et comment ils s’emparent de façon inattendue de la scénographie. “Tout est utilisé et tout est en mouvement de manière surprenante. C’est ce qui a influencé ma façon de travailler au théâtre. Le décor devient ici un partenaire de jeu.” Dans la marionnette contemporaine, l’acteur est présent et l’aller-retour entre l’échelle humaine et de plus petits éléments est constant. “Nous sommes dans une cohabitation des mondes.”
Pour la onzième promotion de l’Institut international de la marionnette de Charleville-Mézières, elle a présenté avec Bérangère Vantuso Le Cercle de craie caucasien. La scénographie, composée de cartons que les onze acteurs très enjoués manipulaient, fonctionnait comme une grande marionnette. Elle bougeait et constituait des paysages qui changeaient et disparaissaient. C’était un jeu de construction, un dispositif avec de nombreuses possibilités, sans s’épuiser. La mort ? je n’y crois pas, créée par Jurate Trimakaite, une marionnettiste lituanienne, avait pour sujet des enfants déportés dans les goulags. Dans une autre pièce présentée à Vilnius, Kryptis, parlant d’un homme qui suit les flèches, une même marionnette apparaissait à quatre échelles différentes, un gros cube de 2 m de côté tournait et sur chaque face des éléments apparaissaient.
Cerise Guyon n’abandonne pas le théâtre pour autant. À la Comédie de Reims, elle a créé la scénographie de Débris pour le Collectif Corpus urbain, un espace épuré composé d’une boîte blanche très graphique. La vidéo surgissait de toutes parts et la boîte devenait un mur de télé. En 2018, elle a participé comme accessoiriste à la création de Mémoire de fille,mise en scène par Cécile Backès à la Comédie de Béthune. “J’ai le goût du détail et ce travail me convenait. J’aime regarder les éléments de très près et raconter des histoires avec les objets.” Avec Philippe Delaigue, elle entame un projet sur Histoire mondiale de ton âme d’Enzo Corman, un cycle de 99 pièces pour trois comédiens, dont les pièces sont montées trois par trois, au Théâtre de Poche de Genève. Dans un dispositif minimal, elle voudrait apporter des références au théâtre forain. D’autres créations vont suivre avec les anciens comédiens de l’ENSATT.
Pour Cerise Guyon, la scénographie doit être ludique et permettre le mouvement. Elle part des usages et des postures, travaille sur le focus. “Comment permettre aux objets ou aux personnes de se transformer, d’apparaître, disparaître ? La scénographie implique les circulations, agit avec les acteurs. Comment l’espace peut faire transparaître ce qui se passe à l’intérieur du personnage ?”
Cerise Guyon a trouvé un équilibre entre le théâtre et la marionnette, et partage son temps entre les deux mondes créatifs. Les échelles différentes de ces nombreux projets nourrissent les deux approches et passer de l’un à l’autre reste toujours aussi stimulant.