La jubilation de la création
Nantaise d’origine, le parcours atypique d’Angeline Croissant qui la mena à la scénographie commence aux Beaux-Arts de Rennes, section design d’objet, et pourtant elle avait déjà choisi de faire son stage d’observation en 3edans les ateliers de construction du Grand T avec François Corbal. Pendant ses études, elle travaille comme ouvreuse au TNB, assiste aux spectacles plusieurs fois et elle développe une réflexion sur la réaction du spectateur qui devient la base de son sujet de mémoire. Une année de stage dans le théâtre lui permirent de côtoyer et de suivre les différentes équipes artistiques et leur création en commençant par Le Misanthropede Jean-François Sivadier, “une grande aventure, j’ai aimé cette relation au théâtre avec l’idée d’une équipe en communion pour le bien du spectacle”. Elle y rencontre Philippe Berthomé qui l’a toujours conseillée. L’année d’après, elle se voit proposer le poste d’accessoiriste sur Oncle Vaniad’Éric Lacascade où elle rencontre Émmanuel Clolus qu’elle admirait. Noémie Rosenblatt, l’assistante de Lacascade, lui propose de créer sa première scénographie pour sa première mise en scène, Demain dès l’aube de Pierre Notte. “Nous étions soutenues par nos mentors. Nous nous sommes très bien entendues et pendant un an, nous avons construit cette création avec le texte au centre. Noémie avait des images précises, je l’accompagnais dans ses envies et je traduisais ses images plastiquement.” Comment faire évoluer l’idée d’une table et de deux chaises en faisant appel à l’imaginaire du spectateur ? Le décor, une construction complexe, était composé d’un plancher dans lequel une table et un banc étaient intégrés et se dépliaient avec un système d’origami et apparaissaient comme par magie. Elles continuent ensemble sur J’appelle mes frèresde Jonas Kemhri.
Angeline Croissant suit les conseils et s’approche du Conservatoire supérieur d’art dramatique de Paris. Elle relève un pari difficile dans une collaboration sur Hamletde Daniel Mesguich qui lui propose d’être régisseur plateau et accessoiriste sur la pièce et de s’occuper de la tournée. “Mon métier de scénographe s’est construit par l’apprentissage du métier de régisseur plateau. J’ai pratiqué l’habillage, j’ai construit des décors.” Toujours au conservatoire, elle travaille avec Stuart Seide sur un autre Hamlet. Elle devient sa scénographe sur La Danse de Mortde Strindberg. Le processus du travail pendant neuf mois avec la recherche des références et des textes à lire a été très enrichissant. “Le moment de création c’est celui que je préfère.”

Le Cercle de craie d’après Li Xingdao et Klabund, scénographie Angeline Croissant – Photo © Christophe Raynaud de Lage
Emmanuel Besnault de la compagnie L’éternel étélui propose de travailler sur Le Cercle de craied’après Li Xingdao et Klabund, avec les anciens élèves du conservatoire. “Il travaille sur la confiance afin que les gens donnent le meilleur d’eux-mêmes. Le décor est venu rapidement.” Une collaboration réussie puisqu’elle fera la scénographie de sa prochaine création, Ivanov, l’année prochaine. Elle enchaîne avec Vanessa Bonnet, assistante de Lacascade, pour Anarchiede R. W. Fassbinder au Studio Théâtre à Nantes. Un des comédiens de Daniel Mesguich la contacte pour un projet particulier pour les enfants avec Sylvain Frydman musicien, Ému des motsde Laurent Montel. “Il y avait une envie et une sincérité chez eux et ils questionnaient ainsi le théâtre comme la place du spectateur.” L’espace devait être immersif et l’enfant, à partir de trois mois, se retrouvait au centre. Elle a aussi maintenu son lien avec les anciens des Beaux-Arts. Elle participe avec Bérengère Amiot, designer, à un workshop sur une installation appelée Nuit Papier 2.0pour le Festival Maintenantà Rennes.
Pour Angeline Croissant la scénographie est liée au théâtre et au plateau. “J’ai l’espoir que le théâtre aujourd’hui soit un lieu de liberté et de vérité, en tout cas de rencontre où on invente des rapports humains.” Amoureuse de l’être humain et donc du comédien, elle voit dans son rôle de scénographe et plasticienne le moyen de créer un terrain de jeu évolutif. Entre les désirs du metteur en scène et les contraintes des constructeurs, elle cherche le juste milieu, épurer afin que ce qui en ressort soit le concentré de ce qui est dit.
Elle continue à travailler au conservatoire avec les troisièmes années sur leur carte blanche au théâtre et elle a de nombreux projets pour les deux prochaines années notamment avec N.Rosenblatt. “Depuis que j’ai quinze ans, je tisse des liens avec des gens. J’avais jeté la balle au bon endroit et qui fait des ricochets tout le temps. Tout a du sens.”