La fonction de DT au Festival d’Avignon
À l’occasion de la programmation de Richard III de Thomas Ostermeier, à l’Opéra Grand Avignon, voici une conversation thématique avec Philippe Varoutsikos, le nouveau directeur technique du Festival.
Le parcours
J’ai commencé au Festival comme machiniste à la Cour d’Honneur en 1985. À cette époque-là, comme cela ne se passait que pendant l’été, j’avais en même temps une petite entreprise de menuiserie d’une douzaine de salariés, en Avignon, qui réalisait des décors.
L’année suivante, je suis devenu régisseur plateau, et en 1990, j’ai arrêté mon entreprise car je trouvais le théâtre beaucoup plus passionnant. L’année suivante, je suis parti à Nanterre, au Théâtre des Amandiers, comme régisseur général des ateliers. Puis je suis revenu car, même si j’étais parisien de naissance, la vie à Paris…
J’ai recommencé petit à petit à travailler au Festival. Le directeur technique était Christian Wilmart, avec qui j’avais déjà travaillé : il était régisseur général à la Cour d’Honneur quand j’étais régisseur plateau. J’ai alors fait plusieurs régies générales : deux ans à la Carrière de Boulbon, un an à la Cour du lycée Saint-Joseph et la Cour d’Honneur en 98. J’étais intermittent, mais je travaillais quasi toute l’année car je m’occupais aussi des productions du Festival : les constructions de décors, les tournées et la régie générale.
Je suis devenu permanent en 1999. Et j’ai gardé mes fonctions, tout en devenant directeur technique adjoint : je m’occupais toujours des productions du Festival et de la Cour d’Honneur.
L’année dernière, Christian Wilmart est parti, avec Vincent Baudriller, au Théâtre Vidy-Lausanne. Je suis alors devenu directeur technique, avec la même équipe de six permanents à l’année.
Le fonctionnement du Festival
La gestion s’étend sur une vingtaine de lieux et dans chaque lieu, il y a une équipe salariée du Festival affectée. À l’Opéra Grand Avignon,, il y en a une de six à huit personnes, vingt-deux personnes à la Cour d’Honneur et sept personnes au gymnase Aubanel, …
Pour pouvoir faire toute la préparation, le montage et le démontage, puisque nous sommes sur un festival et donc sur de l’alternance, il y a ce que nous appellons les équipes volantes. Elles sont dirigées par les permanents du Festival. Le régisseur général machinerie a une équipe volante de cinquante personnes, le régisseur général lumière a trente électriciens, le régisseur général son et vidéo dirige quinze personnes. L’équipe de la puissance électrique s’occupe de la distribution électrique et des rapports avec EDF pour les lieux qui n’ont pas l’électricité ou la puissance suffisante. Nous avons une “volante” habillage et une “volante” que nous appelons “affaires générales logistique” qui alimente en petit matériel, quincaillerie, outillage, …
Les équipes volantes et celles des lieux travaillent ensemble, particulièrement sur les montages et les démontages, ou s’il y a besoin ponctuellement d’avoir un renfort, pour des manipulations de décor par exemple, ou pour une poursuite. Sur les montages et les démontages, nous ne pouvons rien faire sans les équipes volantes, et que celles des lieux doivent normalement gérer les exploitations.
À la Cour d’Honneur, le montage démarre en avril et finit à la mi-octobre. C’est presque six mois de travail. Il faut monter une salle de 2 000 places, que la nuit à cause des visites touristiques de jour. Il y a trois phases très distinctes. La première c’est le montage de ce qu’on appelle la structure primaire. C’est la base, sur laquelle on vient installer le gradin, c’est la deuxième phase. La troisième, ce sont toutes les accroches dans les fenêtres, le son, la lumière, les loges. Ça représente huit semaines de travail, avant de faire entrer le premier camion.
La gestion du parc matériel
Nous avons un parc de matériel pour équiper les lieux. Nous transformons une vingtaine de lieux qui ne sont pas du tout faits pour être des lieux de théâtre à part entière. C’est-à-dire, nous devons tout amener. Pour équiper la Cour d’honneur, cinq ou six semi-remorques de son et de lumière sont nécessaires.
Il nous est impossible d’acheter l’ensemble du matériel. Nous essayons, avec des grandes structures, de monter des conventions de prêt et d’échanges. Nous achetons du matériel que nous allons ensuite prêter et, en échange, elles vont nous en prêter. Nous le récupérons l’été, et eux de l’automne au printemps. Mais il n’y a pas plus de quatre ou cinq théâtres avec qui cela fonctionne, pour des questions de délais car ils sont ouverts assez tardivement au mois de juin, et peuvent aussi avoir des créations “hors les murs” en été. Nous avons besoin du matériel très tôt, au mois de mai.
Tout le matériel est vérifié, nettoyé, révisé, étiqueté, trié et réparti. Une équipe s’occupe des conventions, de la comptabilité, du transport. C’est en lumière où il y a le plus travail, à ce niveau-là.
Avec les prestataires loueurs, c’est plutôt des partenariats. Ils nous prêtent du matériel, à condition que ce matériel soit montré et que l’on en parle. Nous en achetons aussi : par exemple dix projecteurs et nous essayons de négocier le prêt de dix autres.
La particularité de l’Opéra dans le contexte du Festival
C’est une mise à disposition, comme beaucoup de lieux en Avignon. Tous les ans, cette demande est effectuée auprès de la mairie, qui le valide en Conseil municipal.
L’Opéra fait partie de ces quelques salles qui sont en ordre de marche, comme la salle Benoît XII, la chapelle des Pénitents blancs et la FabricA – inaugurée en 2013. J’en avais suivi le chantier pendant mes deux dernières années de directeur technique adjoint.
Il y a trois sortes de lieux en Avignon : les monuments historiques (les Carmes, les Célestins, la Cour d’Honneur), les gymnases (Aubanel, …) et les salles fermées, les vraies salles de spectacle. Une salle comme l’Opéra est déjà équipée, même si nous y apportons des modifications et du matériel.
C’est un théâtre municipal, donc toute l’équipe du Théâtre est remplacée par une équipe Festival, sauf le régisseur général à l’année, Valentin Clavel-Segura. Chaque année, ce sont les mêmes techniciens qui reviennent. C’est une histoire avec le lieu.
L’accueil de Richard III
Le projet de Richard III existait depuis deux ans. Dans la salle de la Schaubühne avait été construit un gradin en demi-cercle, pour retravailler sur la jauge du Globe theatre de Shakespeare. J’ai essayé de trouver un gradin demi-circulaire pour pouvoir y recréer un amphithéâtre. Nous avions trouvé un lieu mais cela coûtait trop cher. Je suis allé à Berlin pour assister à des répétitions, bien en amont de la première du spectacle. C’est pourquoi j’ai proposé l’Opéra. Il y avait même une proposition de condamner les sièges du parterre pour retrouver cet amphithéâtre. Finalement, l’équipe de Thomas Ostermeier s’est contentée de la fosse, avec quand même de grosses problématiques, comme l’accrochage central, une poutre (pont métallique installé au-dessus du plateau depuis les corbeilles en travers de la scène) pour les automatiques et le micro. Un comédien devait s’y suspendre ! Et comme c’est une charge dynamique…
Les perspectives
Une des choses intéressantes dans les projets et dans le Festival, c’est la recherche de nouveaux lieux, de nouveaux espaces. C’est toujours passionnant de faire concorder un projet artistique avec un lieu. Pour l’instant, j’en fais visiter à des compagnies pour 2016 ; ensuite, j’établirai des études de faisabilité. Il y a beaucoup de critères, techniques, mais aussi artistiques : en intérieur ou en extérieur, monument historique ou gymnase. Et aussi des critères financiers : le spectacle va-t-il remplir dix salles à 500 personnes ? En programmant Ostermeier ici, savions que cela marcherait.
Il y a toujours des choses à améliorer au niveau de la sécurité, de la formation et de la pérennité des lieux. On essaye de récupérer des lieux, mais on essaye aussi de les améliorer, de les transformer, de donner du confort aux compagnies. Ici, vous avez des loges, mais les trois-quarts des lieux n’en n’ont pas, on doit les fabriquer. Quand on fait des loges au gymnase Aubanel dans le sous-sol du parking, ce n’est pas très glamour…
Le Festival, c’est avant tout de l’anticipation, la prévention, la formation. Le travail va crescendo de janvier à fin juin. Ensuite, la partie “spectacle” est plus simple après chaque première. J’ai quand même 250 à 260 techniciens sous ma responsabilité et j’espère que cela se passe bien, que les gars soient contents de travailler et qu’il n’y ait pas de problème de sécurité.